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et les perles du golfe du Mexique ; il existe ici, et en abondance. Le fait étant acquis, voit-on trop vite et va-t-on trop loin ? Ne tient-on pas un compte suffisant des obstacles, ou le tenant, estime-t-on, comme en Amérique, que le plus sûr moyen de les surmonter est encore de les dédaigner et que la foi intrépide a raison de tout ? Plus ici qu’ailleurs, les passions sont intenses ; plus ici qu’ailleurs, les idées s’incarnent en des individualités ; et les questions de personnes prennent le pas sur l’intérêt général. Ce n’est pas l’un des moindres étonnemens qu’éprouve l’observateur d’entendre apprécier les solutions à intervenir moins d’après leurs conséquences probables et leur répercussion possible sur la prospérité publique, qu’au point de vue des personnalités qui s’en constituent, au nom de leurs intérêts privés, les partisans ou les adversaires. Il semblerait que, lorsqu’il s’agit d’une question d’ordre général, comme celle des phosphates, l’accord dut être prompt et que l’évident avantage de tous suffit à faire taire les animosités personnelles. Il n’en est rien. Les préoccupations qui se font jour et qui dominent semblent n’avoir qu’un objectif unique : exclure per fas aut ne fas certains hommes de toute participation à une exploitation lucrative, assez vaste pour tous, faire appel aux haines locales et aux rancunes nationales, accuser des adversaires politiques des pires méfaits et réclamer, au nom de la morale publique et privée, moins une enquête impartiale qu’une condamnation sans appel.

Que les accusations portées contre les premiers concessionnaires soient fondées, qu’il y ait eu des agissemens délictueux, des compromissions fâcheuses, des actes de pression, cela paraît vraisemblable ; que des offres sérieuses aient été écartées, que des dénis de justice aient été commis et que certains intérêts aient été lésés, les mesures prises par le gouvernement vis-à-vis de ses fonctionnaires autorisent cette créance ; mais, à examiner la question à ce point de vue, les mesures de répression prises par lui n’ont pas un caractère de sévérité tel qu’elles justifient la gravité des accusations formulées, et il n’a rien moins fallu pour en amener là l’opinion que l’ordre brusquement donné de dénoncer en bloc toutes les concessions octroyées et de suspendre les travaux d’exploitation en cours. Tant que l’incident se bornait à des contestations soulevées et des récriminations échangées, il n’était que regrettable, mais il pouvait, avec le temps, s’apaiser et se terminer par une transaction. Il était déplorable en ce sens, qu’une fois de plus, et dans des circonstances où les intérêts généraux étaient en jeu, où un avenir brillant s’ouvrait pour la colonie, il mettait à nu l’une des plaies vives de l’Algérie, il