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la colonie, le souci de concilier les intérêts des races diverses qui la peuplent cl, dans les accusations contradictoires auxquelles ils sont en butte, d’être ou trop arabophiles ou trop arabophobes, l’examen des faits m’amène à ne voir qu’un hommage rendu à leur impartialité.


V

Tébessa el les gisemens de phosphates[1]. — A 170 kilomètres au sud-est de Constantine, sur la route de Gafsa et de Gabès et près de la frontière de Tunisie, apparaissent les affleuremens de phosphates de chaux de la région de Tébessa ; au Djebel Dyr, ils se prolongent, apparens et ininterrompus sur une longueur de 4 kilomètres. La teneur du minerai varie de 60 à 70 pour 100, ce qui donne, pour la tonne de phosphate, de 42 à 47 francs. Or les frais d’abatage, sortage et séchage, de transport, transbordement, ne dépassent pas 26 francs, — ce qui laisse un bénéfice moyen de 16 à 20 francs.

La découverte et l’exploitation de ces phosphates, l’un des engrais les plus appréciés, pouvait avoir pour l’Algérie d’incalculables conséquences. Des rapports qui m’étaient communiqués, il résultait que, dans le Djebel Dyr, la réserve de phosphate était soixante fois supérieure à celle de tout le département de la Somme qui, seul, en possède d’importans gisemens ; qu’elle était douze fois plus grande que celle de la Caroline du Sud, et supérieure à celle de toute la Floride. L’Algérie paraissait donc appelée sous peu à devenir le plus grand pays producteur de phosphates du monde, le maître et le régulateur du marché européen.

Autour des centaines de millions que représentaient les gisemens algériens, les convoitises s’éveillaient et les impatiences s’agitaient. Etait-ce la solution attendue, désirée, au problème complexe que je résumais plus haut : découvrir en Algérie un produit qui n’eût que peu ou pas de similaire en France et qui fût d’une consommation générale ? Les phosphates allaient-ils jouer en Algérie le rôle qu’avaient joué en Californie et en Australie les mines d’or ? La question se posait en France. La presse el la Chambre, les capitalistes et les cultivateurs, s’en préoccupaient ; les partisans de notre expansion coloniale voyaient, dans cette découverte et dans les résultats déjà acquis par deux compagnies anglaises, une justification nouvelle de la conquête et de la confiance dans l’avenir ; les adversaires : une affaire louche,

  1. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 18995, La question des phosphates algériens.