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les autres grandes villes de l’Algérie : 24 500 Arabes contre 12 000 Français, 6 300 Juifs et 3 000 étrangers. Mais il n’y a plus ici qu’une apparence : le fantôme d’une cité guerrière, le souvenir de combats homériques à une époque où l’art militaire ne disposait pas des moyens d’action qu’il a faits siens aujourd’hui. Ce qui persiste à Constantine, c’est la couleur locale qui s’efface ailleurs, c’est la vie arabe qui ne se révèle plus intense que dans le sud, et que l’on retrouve dans les quartiers indigènes de cette ville, dans ses ruelles étroites, dans les tortueuses impasses et dans les louches masures qui surplombent le cours du Roumel. « Ailleurs, selon un dicton arabe dont nous atténuons la crudité, les oiseaux de proie planent au-dessus des hommes ; ici, les hommes déversent leurs immondices sur les oiseaux de proie. »

Les idées antisémitiques prévalent dans cette cité. L’Arabe n’y pardonne pas à la France le décret par lequel le gouvernement de la Défense nationale a, en 1870, et sur la proposition de M. Crémieux, naturalisé en bloc tous les Israélites ; le colon fait, dans une certaine mesure, cause commune avec l’Arabe ; et Constantine est le foyer le plus ardent de cette haine de race. Elle est peut-être aussi la ville où le mécanisme gouvernemental de l’Algérie est le plus vivement critiqué. On lui reproche les lenteurs apportées aux concessions de terres, parcimonieusement octroyées, et la superficie restreinte de ces concessions, oscillant entre vingt et trente hectares, superficie insuffisante pour assurer l’existence d’une famille de colons. On se plaint des formalités de l’administration, on blâme ses exigences, et, plus qu’ailleurs, on exalte le système colonial anglais : les concessions larges, promptes et gratuites, le fonctionnarisme réduit à son minimum d’ingérence, l’initiative privée portée à son maximum d’action. Des droits de l’Arabe, d’aucuns n’ont cure ; ils le tiennent pour un obstacle à la marche en avant ; s’ils ne réclament pas son impossible suppression, tout au moins ils demandent qu’on le refoule vers le sud, qu’on l’accule au désert, et qu’il cède, sur ces hauts plateaux où le sol est fertile, où les conditions du climat favorisent l’expansion de la race blanche, la place aux émigrans européens, mieux à même que lui d’obtenir de ce sol son maximum de rendement.

J’essaye de résumer, sous leur forme la plus claire et la plus précise, les desiderata que j’entends formuler autour de moi. Il en est qui, par leur vague, se dérobent à l’examen : velléités mal définies d’une impraticable autonomie ; conceptions chimériques d’un mode de gouvernement qui, affranchissant la colonie de tout contrôle et la laissant libre d’évoluer à sa guise, imposerait, d’autre part, les charges de son entretien et la responsabilité de sa