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fréquens et prolongés ; les besoins du service l’exigent, les trains étant omnibus, les voyageurs relativement peu nombreux, les marchandises parfois abondantes et encombrantes. D’aucuns critiquent cette lenteur, mais sur nos grandes lignes la marche des trains omnibus, arrêts compris, n’excède guère 30 à 35 kilomètres à l’heure. Il est à souhaiter que le trafic des voyageurs justifie bientôt la création de trains directs ou « légers », comme ceux qui circulent déjà entre Alger et Blida. En attendant, on aurait mauvaise grâce à se plaindre, le service étant convenablement fait, les employés actifs et polis. Ce que l’on serait en droit de demander c’est l’addition d’un wagon-restaurant entre Alger et Constantine, comme celui qui existe entre Alger et Oran.

Chemin faisant, bien des sites pittoresques ou grandioses, intéressans et curieux, se déroulent devant les yeux. Sous un ciel brûlant, même en novembre, se profilent les montagnes de la haute Kabylie, blanches à donner l’illusion de la neige. Par le défilé des Bibans, ou « Portes de Fer », — que n’abordèrent jamais les légions romaines et que franchirent nos bataillons, laissant, en souvenir de leur passage et gravée dans le roc, la laconique et fière inscription : « Armée Française, 1839 », — on passe de la province d’Alger dans celle de Constantine ; on traverse les longues plaines de Sétif, « Brie et Beauce dans les années pluvieuses, Sahara dans les années de sécheresse », écrit Piesse.

Nid d’aigle construit sur la cime du rocher que contourne l’Oued Rummel, ou Roumel, dont les eaux torrentueuses ont creusé autour de la ville un précipice qui atteint 120 mètres de profondeur, Constantine apparaît isolée, menaçante, redoutable. Elle le fut pour les légions romaines, alors que sous le nom de Cirta, et capitale des rois numides, elle brava l’empire. Elle le fut pour nos bataillons, alors que, du 6 au 13 octobre 1837, défendue par les Arabes, elle leur disputa l’étroit terre-plein qui alors, de même que deux mille ans auparavant, reliait la cité à la plaine et sur lequel tomba, mortellement blessé, le général Damrémont, commandant le corps expéditionnaire. Dans ce torrent du Roumel, le sang romain et le sang français ont successivement coulé ; ses eaux ont roulé bien des cadavres de vaillans soldats. Les milliers de corbeaux et de vautours qui volent en décrivant leurs courbes au-dessus de l’abîme aux eaux troubles évoquent le souvenir des luttes passées et de l’homicide carnage.

Ville de guerre au temps des Numides et au temps des Arabes, elle l’est restée, dans son enceinte de rochers et de ravins, nonobstant la conquête et la pacification. Les vaincus s’y cramponnent encore, proportionnellement plus nombreux que dans