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avec lui ; inhérente au sol, elle demeure, et ce sol est français. Ces vérités se font jour dans cette Algérie ouverte à toutes les bonnes volontés ; les théories d’un patriotisme étroit n’y éveillent plus guère d’échos. Il y a place pour tous et, facteur tout-puissant du progrès, le travail rapproche ceux qui, vivant du même sol, attendent de lui leur gain de chaque jour. Instinctivement, ces idées prédominent à Alger, la ville cosmopolite où les nationalités diverses qui contribuent à former l’ensemble sont à tel point multiples et variées que, si chacune d’elles se détache en relief, elle ne saurait donner l’idée de l’agrégat qu’elle représente. Les colons que l’on y coudoie sont nombreux, mais venus de l’intérieur pour leurs affaires ou leurs plaisirs, mais de passage, momentanément hors de leur milieu habituel et de leurs occupations quotidiennes. Ni les Kabyles qui travaillent dans les jardins et les champs avoisinant Alger, ni les Biskri occupés au chargement et au déchargement des navires, ni les Arabes qui passent, indifférens et hautains, ou sommeillent au seuil des mosquées, ne se dégagent de la foule avec leur note vraiment caractéristique, pour qui n’a pas vu les industrieux villages de la haute Kabylie, perchés comme des nids d’aigle sur des cimes aiguës, les centres agricoles de Sétif, Batna, Sidi-Bel-Abbès, non plus que, dans leur cadre saharien, les habitans de Biskra, la ville reine du Zab, ou de la ville sainte de Sidi-Okba. C’est dans ces localités diverses qu’il faut chercher les traits distinctifs de chacun de ces types dont le mélange donne à Alger sa physionomie mobile et curieuse. Et Alger lui-même gagne à être vu de loin. Il faut, pour le bien comprendre, un effet de recul. Il est, comme la plupart des capitales, une synthèse d’élémens ethniques divers, de facteurs dont l’analyse révèle seule les détails et les proportions. « Distance lends enchantment to the view, la distance ajoute au charme du paysage », disent les Anglo-Saxons. En cela ils ont raison. Le Paris dont le citoyen de Chicago se souvient sur les rives du Michigan lui apparaît sinon plus beau, du moins plus intelligible que le Paris qu’il a vu, parcouru, fréquenté. Ainsi vu, ou revu, à distance, Alger apparaît autre et se comprend mieux.


IV

Constantine. — D’Alger à Constantine on compte 494 kilomètres. Pour franchir cette distance, moindre que colle de Paris à Lyon, on met près de dix-sept heures. La vitesse moyenne sur les voies ferrées algériennes excède rarement 30 kilomètres à l’heure, y compris les temps d’arrêt, et ces temps d’arrêt sont