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Rien de plus intéressant à visiter que ces champs de primeurs, conquis sur les landes ou les sables, soigneusement épierrés, aisément et à peu de frais engraissés par les déchets des fabriques avoisinantes ou par les détritus d’Alger, cultivés avec un art savant qui règle, presqu’à jour fixe, la maturation et la récolte des produits, irrigués au moyen d’écluses qui limitent à une intelligente surveillance le pénible travail de l’arrosage. Toute une population — française, mahonnaise, maltaise, espagnole — vit de ces champs dont pas un pied de terre ne demeure improductif. Le visiteur est frappé du labeur dépensé sur ce sol et rémunéré par lui, de l’apparence saine et vigoureuse de la population qui le cultive, de la quantité d’enfans qui grouillent autour des habitations proprettes qu’encadrent, presque partout, des carrés de fleurs entretenues par les femmes et vendues aux débitans d’Alger, dont les étalages parfumés s’abritent sous les palmiers de la régence.

La plupart de ces ouvriers agricoles sont d’origine étrangère. Les Français n’y figurent guère que comme propriétaires des petits champs qu’ils cultivent, ou surveillans des exploitations qui exigent une importante main-d’œuvre. L’emploi d’ouvriers étrangers n’est cependant pas pour éveiller des jalousies, non plus que pour faire à nos nationaux une concurrence regrettable, Mahonnais, Maltais et Espagnols contribuent, dans une très large mesure, à la prospérité de cette industrie maraîchère appelée à prendre une place importante en Algérie. D’ailleurs parmi ces étrangers, la France recrute des citoyens. Si la première génération conserve sa nationalité, au moins de nom, celle qui suit, née en Algérie, élevée dans nos écoles, imbue de nos idées, devient, par la force des choses, en grande partie française, et comble ainsi, dans une certaine mesure, le vide que creuse, en France, une natalité décroissante. Notre patrie n’a qu’à gagner à cette assimilation d’élémens ethniques, à cette infusion de sang nouveau de races sœurs de la nôtre, de même que l’Algérie n’a qu’à gagner à l’adjonction de ces bras qui mettent ses terres en valeur, accroissent sa production, font fructifier ses capitaux, fournissent du fret à ses navires, alimentent les marchés de la métropole et suscitent un commerce important autour duquel gravitent d’autres industries qui en bénéficient. Le labeur ainsi dépensé sur une lande jusque-là en friche, convertit un hectare, dont la primitive valeur était nulle, en un capital, dont le revenu annuel atteint et dépasse, en certaines localités, 1 500 francs. Que l’ouvrier soit étranger ou non, qu’il réside ou quitte le pays, l’œuvre par lui faite subsiste ; ceux qui lui succèdent n’ont plus qu’à l’entretenir et à la continuer ; il ne l’emporte pas