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hivernales. C’est un autre monde, moins connu et moins fréquenté, d’un accès facile et d’un charme étrange, où, chemin faisant, l’observateur voit se poser d’intéressans problèmes.

Si Alger est, avec la ville du Cap au sud, avec Saint-Louis à l’ouest et Zanzibar à l’est, l’un des seuils d’accès du continent africain, ce seuil d’accès fait face à l’Europe, il n’en est séparé que par vingt-six heures de mer, il est essentiellement méditerranéen. Les bruits du continent noir, les secousses qui agitent ce grand corps n’ont qu’une lointaine répercussion dans la ville cosmopolite. Les nouvelles lui en viennent par la France. Le Sahara est une barrière de sable plus infranchissable que les montagnes et les mers ; à travers cette barrière, rien ne filtre. Alger vit donc en dehors du mouvement d’exploration et d’expansion, de dépeçage et de partage de l’Afrique entre les puissances européennes. Il regarde vers le nord, et son horizon, au sud, ne dépasse guère Ouargla, Ghardaia et les dunes de sable de Bénoud, horizon assez vaste, puisqu’il mesure 600 kilomètres à vol d’oiseau. Aussi Alger est-il, à certains égards, une capitale provinciale et, en fait, essentiellement coloniale. Les questions d’intérêts locaux absorbent forcément des colons que des visées lointaines, et à lointaine échéance, ne sauraient détourner des préoccupations quotidiennes. Il faut vivre ; pour cela travailler, défricher, semer, planter, récolter et vendre. Les colonies agricoles ont cure avant tout de solutions d’un ordre immédiat et pratique, et l’Algérie est, par-dessus tout, une colonie agricole.

Terre hybride, avons-nous dit. Elle l’est entre toutes. A demi tropicale au long des côtes et dans le sud, tempérée sur les hauts plateaux, elle n’a ni la moyenne normale de température qui permet les cultures exotiques, ni le sol fertile et les eaux abondantes des tropiques ; elle n’a non plus ni les conditions climatologiques de l’Europe ni ses pluies régulières. Ses productions : vins, blé et moutons, viennent faire, sur nos marchés, concurrence aux produits français, déterminant souvent une baisse des prix dont la colonie soutire et fait aussi souffrir nos régions méridionales. Un problème se pose : découvrir une culture appropriée aux conditions particulières de l’Algérie, culture dont la similaire n’existe pas en Europe et qui réponde à un besoin général. En attendant qu’on la trouve, l’Algérie multiplie ses vignobles et ses champs de blé, sa culture maraîchère et ses moutons. Chaque année de nouveaux plants de vigne s’ajoutent à ceux qui existent. L’Algérie produit aujourd’hui autant de vin que l’Autriche, le double de la Hongrie, presque autant que l’Allemagne. Ses 4 millions d’hectolitres ne sont encore que le dixième de la production de la France, mais ce n’est là qu’un