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bien des essais, le procédé adopté. Les traditions de Rome survivent sur ce sol où Rome a laissé des traces profondes. En les reprenant, la première des races latines ne fait que renouer la chaîne brisée.

Aussi la France est-elle aujourd’hui l’une des grandes puissances musulmanes du monde. De par le cours des événemens, « la fille aînée de l’Eglise », invinciblement attirée sur la terre d’Afrique, y a pris une grande place et joué un grand rôle. Quels qu’aient été ses chefs et ses conducteurs, qu’ils aient eu nom saint Louis ou Louis XIV, Charles X ou Louis-Philippe, Napoléon III, Thiers ou Grévy ; quelles qu’aient été ses formes de gouvernement : monarchie, empire ou république, la France a toujours poursuivi, entre autres buts, celui d’arracher sa proie à l’islamisme et de conquérir à la civilisation cette terre africaine qui, sur l’autre rive de la Méditerranée, déployait, ainsi qu’un insolent défi, l’étendard barbaresque, le fanion de pirates approvisionnant Tanger, Alger et Tunis d’esclaves européens. Si cette Méditerranée, qui fut le berceau de la civilisation européenne, est redevenue libre et sûre, on le doit en grande partie à la France. N’eût-il vu que cela, ce siècle qui finit eût vu une grande chose. Mesurant le progrès à la courte durée de sa propre existence, l’homme est souvent porté à incriminer la lenteur de sa marche. Loin de s’étonner des prodigieux changemens effectués en Algérie, volontiers on gourmande la prétendue inertie de colons persévérans et laborieux. La conquête qui a porté jusqu’aux confins du Sahara les puissans moyens d’action de l’Europe paraît lente à l’impatience humaine. Si, au seuil du désert, on s’arrête, c’est pour mieux s’orienter. On interroge, on sonde l’horizon, et par-delà la mer de sable, peuplée de nomades, jalonnée d’oasis, sillonnée de caravanes, on entrevoit d’autres régions.

On a beaucoup dit, on a beaucoup controversé sur l’Algérie. Ce champ de bataille, illustré par tant de combats, arrosé de tant de sang, cette colonie, dernier legs de la vieille monarchie, devint, après la période héroïque, un champ d’expériences, un thème à dissertations sans fin sur les meilleurs modes de colonisation. Par son sol et son climat, par sa population et ses productions, cette terre hybride, « aux ports rares, aux flots tourmentés, marc sævum, littus importuosum », écrivait Salluste, autorisait les thèses les plus contradictoires ; elle donnait tour à tour raison à ses panégyristes et à ses détracteurs, et aussi à ceux qui niaient et à ceux qui affirmaient le génie colonisateur de notre race, à ceux qui approuvaient et à ceux qui blâmaient les procédés d’administration et de gouvernement tour à tour essayés.

Il en va encore de même aujourd’hui. Entre les pessimistes et