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privilégiés. Ils sont de beaucoup dépassés encore, au siècle suivant, par le tailleur ordinaire de monseigneur le duc de Bourgogne, le fastueux Philippe le Bon, dont la paie journalière est de 20 francs en 1424, tandis que le couturier d’un couvent de la Seine-Inférieure ne gagnait que 60 centimes. Entre les 20 francs de cet aristocrate du ciseau et les 60 centimes du modeste confectionneur des frocs de moines normands, il y a toute la distance qui sépare actuellement le coupeur anglais des maisons parisiennes du quartier de l’Opéra — à 10 000 francs par an d’appointemens — de la petite « cousette » de nos fermes de l’Ouest, nourrie et invitée « es noces des filles », dont elle a fait le trousseau, mais payée seulement 50 centimes par jour. Le salaire normal du moyen âge nous est fourni par le tailleur à 3 francs par jour en Alsace, par le couturier de 2 fr. 80 à Dijon.

Parmi les ouvriers en métaux, le « premier maréchal du roi » et le fondeur de canons occupent au XIVe siècle le haut de l’échelle : tous deux gagnent 8 francs par jour. Les forgerons et maréchaux les plus ordinaires avaient seulement 1 franc, s’ils étaient nourris et occupés à l’année. A la fin du XVIe siècle le fondeur de Franche-Comté, un graveur de la monnaie à Bruxelles, nourris tous deux, ne touchaient que 1 fr. 40, tandis qu’au XVe siècle le simple forgeron, non nourri, était payé 4 fr. 50.

Un enlumineur et son « compagnon » se faisaient à Tours, sous Louis XI, 24 francs par jour chacun ; c’étaient des artistes sans doute ; car d’autres enlumineurs, nourris, ne reçoivent que 3 fr. 10 à Cognac, sous Louis XII, et un « écrivain » copiste, obtient seulement 2 fr. 20, lorsque le journalier nourri avait 1 fr. 80. Parmi les plus favorisés nous remarquons l’ « artilleur » (fabricant de poudre) gagnant 11 fr. 50 à Nevers (1505), l’armurier « pileur de poudre à canon » payé 7 francs, le « huchier », sculpteur de coffres, recevant à Amiens 8 fr. 40. Au nombre des salariés moyens on peut classer l’ouvrier en orgues qui touche 4 fr. 40, d’autres ouvriers nourris tels qu’un pelletier au service de l’Hôtel-Dieu à 2 fr. 70 par jour, un peintre payé 2 fr. 40 pour lessiver les chambres de l’Hôtel de Nesle à Paris, un plâtrier à 2 fr. 20 ; tandis qu’au nombre des moins estimés l’on peut classer les matelassiers à 2 fr. 90 par jour sans nourriture, le paveur à 1 fr. 80. Mais quelque variées que soient ces besognes, lorsque l’on compare les gages du XVe siècle à ceux du XVIe, on s’aperçoit que, d’une date à l’autre, le loyer des bras, comme celui de l’intelligence, a baissé de prix. Tandis qu’un simple plafonneur avait 4 fr. 50 sous Charles VII, un tapissier peintre-décorateur n’a que 3 fr. 90 sous Henri III.

Nous avons constaté plus haut que le salaire de l’artisan