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très vastes superficies ; « nos seigneuries ont usurpé les forêts pour elles seules. Notre opinion est que tous les bois, aux mains d’ecclésiastiques et de laïques qui ne les ont pas acquis par achat, doivent retourner à la communauté. »

Un autre reste de ce communisme rural dont nous parlons était le droit de vaine pâture. On constate dans l’Europe du moyen âge, comme dans tous les pays à demi barbares d’aujourd’hui, une grande différence entre la propriété du bétail, qui est entière, et la propriété du sol qui est restreinte et bornée. Le maître d’une prairie n’avait droit qu’à la récolte du foin ; il n’était chez lui que pendant trois mois et demi par an, de mars à juin ; les coutumes fixent soigneusement les dates : ici le 1er mars, là le 8, ailleurs le 15. Sauf cette période, les prés appartiennent à tout le monde. Chacun peut y faire paître son bétail ; c’est pour les paroissiens un bien public, comme la grande route pour les citoyens d’un même pays. Une prairie ne pouvait donc jamais être enclose, du moins complètement, puisque la généralité des habitans, pendant huit mois et demi par an, devaient y avoir accès. Là-dessus l’opinion est aussi susceptible que la jurisprudence est formelle. Pour soustraire égoïstement quelques hectares à la communauté, il faut qu’elle y consente par une transaction spéciale, comme on en voit une à Taulignan entre le suzerain et ses vassaux, qui déclare « en défense » toute l’année le pré du seigneur « lorsqu’il sera clos ». Trop de gens sont intéressés à maintenir intact ce patrimoine pour qu’aucune infraction puisse passer inaperçue. Quelques propriétaires de Bort (Limousin) ayant enclos des prés en 1564, la masse des paysans leur intente un procès, « comme étant privés ainsi du droit de secondes herbes » ; et ces propriétaires s’empressent de déclarer, par acte notarié, « qu’ils n’entendent pas faire du revivre (ou regain) leur profit particulier », et qu’ils n’ont droit audit pré que depuis le 25 mars jusqu’à la récolte de la première herbe. Aux prairies s’ajoutent toutes espèces de pâtures, que l’on appelle « vaines, » — et qui effectivement le sont assez, il n’y pousse pas grand’chose, — les terres labourables après la moisson enlevée, les jachères, les friches, les landes et les marais.

Chacun peut seulement clôturer les alentours de sa maison, à la campagne comme à la ville, son jardin, son parc. En certaines provinces le laboureur a droit en plus à la retenue de 35 ares environ, à une « épargne » de prairie, voisine de son habitation. Sauf ces exceptions le sol, pendant la moitié ou même la totalité de l’année, s’il s’agit de terres au repos, reste banal. Le droit de vaine pâture n’est limité dans son exercice qu’en ce qui concerne le nombre des têtes de bétail que chacun peut ainsi envoyer