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de 36 litres de froment, à payer par chaque « laboureur à bœufs », quel que fût le nombre de ses bestiaux, et de 18 litres par chaque « laboureur à bras ».

En 1515, nouveau procès, puis en 1634, puis en 1740 ; chaque siècle voit renaître d’interminables litiges. La rente en nature avait été, dans l’intervalle, reconvertie en numéraire ; mais comme la dépréciation du numéraire était continue et que le prix du bois suivait une progression constante, elle était devenue presque nulle. En même temps la population augmentait ; par suite le droit d’usage devenait plus onéreux à celui qui le supportait. Au XVIIe, siècle une douzaine de paroisses envoient leur bétail à La Boixe ; chaque matin des caravanes de bœufs, de vaches, de porcs et de moutons se dirigent en longues files vers la forêt. Le seigneur trouvait toujours qu’on prenait trop de bois ; les usagers n’en avaient jamais assez. Pour 6 fours banaux, dont le revenu était insignifiant, on employait annuellement 70 000 fagots, qui très probablement ne servaient pas tous à cuire du pain. En 1759 La Boixe ne rapportait au propriétaire que 5 400 francs par an, et sa contenance était de 1 330 hectares.

Certes elle avait été dans le principe beaucoup plus étendue. Les cultivateurs ne se contentaient pas de tondre le sol forestier à mesure qu’il se repeuplait ; ils s’en emparaient tout doucement, d’âge en âge, et le défrichaient à leur profit personnel. Les « accrues », accroissemens, ou, pour mieux dire, les empiétemens des riverains étaient chose si prévue, si naturelle, que souvent dans des chartes on règle d’avance de quel seigneur ils relèveront. Rarement il arrive que le châtelain songe à placer des bornes, pour empêcher de nouvelles annexions du paysan. Les bornes d’ailleurs ne sont pas éternelles. S’il s’agit de biens d’église, les moines auxquels ils appartiennent, le receveur de l’abbaye, sont parens ou amis des paroissiens du voisinage. Ils ferment les yeux sur leurs main mises, timidement accomplies, sillon par sillon, ou font cause commune avec eux. Quand un supérieur plus attentif « blâmera » les « aveux », c’est-à-dire criera à la spoliation, il sera trop tard. Des procès nombreux nous révèlent que, depuis un temps infini, une lutte incessante se poursuit entre le château et la chaumière qui entame tous les jours la forêt, « laquelle, à chaque génération, perd plusieurs centaines d’arpens » (1482). L’homme d’épée accuse l’homme de bêche d’avoir transformé ici près de 1 500 hectares en terres labourables. Une fois défrichés, avec l’absence de cadastre, impossible de revendiquer les bois. Rongés par le bétail, hachés par la main de l’homme, les bords « abroutis » de la forêt étaient bientôt impuissans à se défendre contre la charrue, qui venait sournoisement