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autre ordre — telle est l’instruction gratuite ; — il dote et entretient sur le budget, cette bourse commune, beaucoup d’institutions d’assistance pour les enfans, les malades, les infirmes, les vieillards, et tout fait prévoir que la part des déshérités est destinée à s’accroître, sinon par les soins du législateur, du moins par l’initiative privée. On objectera que la charité, sous toutes ses formes, n’est pas nouvelle et que le régime féodal, qui l’a pratiquée sur une vaste échelle vis-à-vis des malheureux non valides, abandonnait en outre aux valides, destitués de tout capital, des biens que la civilisation leur a repris.

Ce serait soutenir que la civilisation ou du moins le peuplement est un mal, et que, au-dessus d’un certain chiffre, plus les hommes sont nombreux, plus ils sont misérables. C’est la thèse de Malthus et, jusqu’à notre siècle, il semble qu’elle ait été vraie. L’étude des temps qui ont immédiatement précédé le nôtre en fournit la preuve. Toujours le développement de la population pose des problèmes redoutables, et il ne les résout pas toujours. Pour que notre siècle se soit tiré à sa gloire des difficultés qu’il a eues à surmonter de ce chef, difficultés contre lesquelles nos pères, accablés pendant trois cents ans — de 1525 à 1830 — sous le poids de leur nombre, ont vainement lutté, il a fallu des inventions, des découvertes, qui ont changé la face du monde. C’est à ces découvertes contemporaines que nous devons d’avoir pu augmenter la production des marchandises, plus encore que n’augmente le chiffre des hommes ; tandis qu’auparavant c’était le contraire qui avait lieu. C’est à ce progrès récent de la science que nous devons par conséquent notre richesse et la faculté de créer, au profit des moins favorisés d’entre nous, des subventions artificielles qui remplacent les subventions naturelles d’époques à demi barbares.

Les forêts devaient être, au XIIIe siècle, dans une telle disproportion, avec la population d’une part, et de l’autre avec le reste du sol, qu’elles ressemblaient, entre les terres cultivées, aux surfaces couvertes par la mer entre les continens. Les arbres n’avaient guère plus de valeur sans doute que les flots de l’Océan. De ce sol commun, de cette étendue « vaine et vague », le seigneur se déclara plus ou moins propriétaire, parce qu’à ses yeux les choses qui étaient à tout le monde n’étaient à personne, et que les choses qui n’étaient à personne étaient à lui. Possession nominale du reste, là même où elle fut reconnue. Comme il n’en aurait tiré aucun profit, le maître se trouva heureux de laisser, pour quelques francs ou quelques centimes, user et abuser de son bien.

En matière de bois le droit d’usage des habitans fut donc général : usage pour pâtures, pour chauffage, pour charpente,