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instrument antique, le nombre en diminue sans cesse et cette besogne, en tous cas, n’est l’objet d’aucun de ces contrats si usités jadis pour la séparation du grain et des pailles. Comparons toutefois la fin du XVIe siècle avec les quatre cents années antérieures : en 1590 le battage et le vannage de l’hectolitre de blé coûtaient 73centimes ; au XVe siècle ils avaient valu en moyenne 1 fr. 60, et, dans les deux siècles précédens, 1 fr. 28.

Il est des travaux champêtres, comme le labourage, qui sont demeurés les mêmes jusqu’à ce jour ; il en est, comme le fauchage de l’herbe, pour lequel les machines commencent à se substituer aux bras, mais qui se font encore exclusivement de main d’homme dans les régions où la petite propriété domine. Ceux-là permettent d’assez exactes assimilations entre le présent et le passé. Or le labour à façon se paie aujourd’hui 25 francs pour les blés de mars et 50 francs pour les blés d’hiver, dont les semailles sont précédées du passage deux fois répété de la charrue. Ce double labour valait en 1346, à Montauban, 73 francs ; il se payait à Rouen, en 1404, 68 francs J’hectare, et en 1588, en Artois, 35 francs seulement. Quant au fauchage des prés à façon, qui se paie environ 15 francs l’hectare dans la Normandie du XIXe siècle, il coûtait jusqu’à 24 francs dans la Normandie du XIIIe siècle, et en général 18 francs. Le prix moyen haussa aux siècles suivans et se maintient à 22 francs de 1401 à 1500. A la fin du XVIe siècle il était descendu à 12 francs.


IV

J’ai essayé de montrer que le moyen âge, par les conditions matérielles où il se trouvait, — et non pas par ses institutions sociales ni politiques, — avait été contraint de payer la main-d’œuvre un prix très élevé et de la payer d’autant plus cher qu’elle était plus rare à l’époque de nos désastres. La même force des choses, qui agissait alors en faveur des classes laborieuses, en procurant au serf affranchi la propriété de la majeure partie du sol cultivable, l’avait gratifié aussi, par les « droits d’usage », de l’usufruit d’une autre portion très notable de la terre française : la superficie boisée ; elle lui avait conféré enfin, par le « droit de vaine pâture », la jouissance de tout le reste du territoire pendant la moitié de l’année.

Ces deux derniers avantages constituaient, pour le « pauvre homme de labeur » d’autrefois, de véritables subventions nationales. C’était une propriété collective, une richesse banale, à la participation de laquelle étaient admis tous les citoyens des champs. Notre temps ménage aux non-possédans des subventions d’un