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princesse, belle-sœur du roi. Les cuisinières, que le XIXe siècle traite avec une faveur marquée, étaient à peu de chose près sur le même rang que les autres servantes. Quant aux nourrices, leur lait est payé suivant sa destination : celles de l’Hôtel-Dieu de Paris n’ont que 45 francs sous Louis XII, celle d’un bourgeois d’Angers avait 110 francs, tandis que la nourrice d’une princesse avait 500 francs et que le sein qui alimente, au XIIIe siècle, un frère de Philippe le Bel est appointé à 8 francs par jour, allaitement exceptionnellement coûteux, puisqu’il ferait ressortir l’année entière à 2 900 francs.

Si nous rapprochons le salaire des servantes de celui des journalières nourries, nous voyons que l’écart entre ces deux catégories est très certainement supérieur à la somme des dépenses dont la première est dispensée et qui incombent à la seconde. On en doit conclure que journalières ou manœuvres, travaillant 250 jours par an, ont été beaucoup mieux rétribués au moyen âge que les domestiques des deux sexes ; ce qui est le contraire aujourd’hui, quoique les manœuvres travaillent 300 jours. Il y a là un phénomène positif, quoique singulier : les servantes de ce temps étaient moins payées que celles du nôtre, les journaliers l’étaient davantage qu’aujourd’hui.

Autre matière à réflexion : la proportion variable du salaire des hommes à celui des femmes, dans la suite des âges. On évalue en 1896 la journée des uns à 2 fr. 50, celle des autres à 1 fr. 50, c’est-à-dire aux trois cinquièmes — 60 p. 100 ; — mais il s’en faut de beaucoup que ce rapport soit uniforme sur tout le territoire de la République. Ceux d’entre nous qui habitent la campagne peuvent s’en rendre compte par leur expérience personnelle. Les salaires masculins sont plus élevés dans tel département où les salaires féminins sont bas, que dans tel autre où les femmes sont mieux rémunérées. Quelle est la cause de cette anomalie ? Les ennemis du travail féminin se hâteront de répondre que la faute en est au sexe faible, qui fait, par sa concurrence, baisser le prix du travail des hommes. Mais comment se pourrait-il faire alors que, dans les districts où un plus grand nombre de femmes travaillent, elles soient mieux rétribuées que dans ceux où il y en a peu à aller en journée ; qu’en un mot leur travail soit plus cher quoique plus abondant ?

Nous venons de dire que la journée de femme équivaut aujourd’hui à 60 p. 100 du prix de la journée d’homme. Dans l’espace de quatre cents ans (1 200-1 600) le rapport entre les bras mâles et femelles varia au point de faire estimer ceux-ci jusqu’aux trois quarts du prix de ceux-là, à la fin du XIVe siècle, et de déprécier ensuite