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rétribués ont jusqu’à 3 francs avec nourriture et jusqu’à 6 francs lorsqu’ils se nourrissent à leurs frais. Les femmes occupées à cueillir du lin ou des pommes, à sarcler ou à blanchir le linge, touchent de 1 fr. 25 à 3 fr. 50. Et cela dans les diverses provinces, au nord ou au sud de la France, sans que l’on puisse discerner une supériorité quelconque du journalier urbain : en effet les hommes de peine — « sommeliers du corps » — de la maison royale ne reçoivent pas plus de 1 fr. 50 en 1380 ; les balayeurs de Paris n’obtiennent pas davantage au début du règne de François Ier ; les uns et les autres étant, bien entendu, nourris. Le journalier de Bayreuth, en Bavière, recevait, dans les mêmes conditions, un salaire identique ; celui d’Augsbourg avait 3 francs, mais sans alimens, et ceux d’Angleterre un salaire un peu plus élevé, 3 fr. 50 à 3 fr. 80, qui se rapprochait par conséquent beaucoup de notre moyenne française. Ce n’est pas une des moindres singularités du moyen âge que le faible écart de ces chiffres, d’un pays à l’autre, au XVe siècle.


II

Par combien de jours faut-il multiplier cette paie quotidienne pour connaître le salaire annuel ? Le nombre des jours chômés a beaucoup varié sous l’ancien régime suivant les siècles, les régions et, dans chaque région, suivant la nature du travail. Si l’on en croyait Boisguillebert, il n’y aurait pas eu dans l’année plus de 200 jours où il fût permis de se livrer aux « œuvres serviles ». Les magistrats, à en juger par leur calendrier, respectaient avec scrupule 89 fêtes d’obligation, en plus des dimanches ; mais de tout temps, les administrations publiques chôment plus volontiers que la classe ouvrière. Il est par exemple inadmissible que le paysan ait jamais consenti à se croiser les bras au mois d’août, en pleine récolte, pendant les quinze jours que les gens du Tiers État classaient comme « non ouvrables ». Mais on peut considérer que, sur les onze autres mois, étaient répartis, en sus des jours où le cultivateur se repose aujourd’hui volontairement, une cinquantaine de jours de chômage obligatoire : soit 250 jours de labeur par an.

La comparaison du salaire des journaliers nourris avec celui des domestiques de ferme tend à prouver que la durée du travail était autrefois moindre que de nos jours : il a dû exister de tout temps, entre ces deux salaires, une marge représentant la somme des dépenses incombant au journalier et non au domestique, telles que le loyer, l’éclairage, le chauffage ; et l’écart n’a jamais pu