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détruisent la religion, fondement de toute morale et de tout ordre. Ils sont les avant-coureurs scientifiques du socialisme… Professeurs de théologie, ils devraient former des serviteurs de l’Eglise. Or ils annoncent aux jeunes théologiens que toutes les vérités auxquelles ceux-ci prêtent serment à leur entrée en charge sont renversées et contredites par la science… Contre la tyrannie des professeurs libéraux, contre la contrainte qu’ils exercent au nom d’une prétendue science, la communauté évangélique doit protester. Elle ne peut pas se laisser ravir par les professeurs incroyans son bien le plus précieux, la parole de Dieu. » Et la Gazette concluait en invitant le ministre à rappeler à leurs devoirs MM. Meinhold et Grafe.

Ils ripostèrent, applaudis par leurs élèves, que les fanatiques de l’orthodoxie travaillaient au profit de Rome, que la liberté de la science avait son prix, non moins que le service de l’Église, et qu’enfin les communautés renfermaient un certain nombre de membres fatigués de « l’apparat des dogmes » et fort reconnaissans à MM. Meinhold et Grafe. Un instant, toute l’Allemagne religieuse et savante regarda vers Bonn ; et l’épisode eut même les honneurs d’une chanson satirique, dans le Kladderadatsch. Mais rien ne finit, là-bas, par des chansons. Des deux parts on insista : 200 théologiens, 180 laïques, remirent aux deux professeurs, le 18 janvier 1895, une adresse de sympathie ; et la riposte survint, en février, rédigée par l’ « Union rhénane et westphalienne des amis du symbole. » Tantôt les deux savans étaient présentés comme des parricides de leur Eglise, et tantôt comme des héros, peut-être des martyrs, de la libre science. Le conseil supérieur évangélique excusa ces parricides et n’en fit point des martyrs. Dans un document assez alambiqué, il maintint, tout à la fois, les droits de la liberté scientifique et la nécessité de former des serviteurs de l’Eglise, et constata, sans pourtant le prouver, que parmi ces conflits d’hypothèses scientifiques la vérité évangélique subsistait sans dommage. Dix ans auparavant, le professeur Bender, réputé subversif, avait dû quitter la faculté de théologie de Bonn ; MM. Meinhold et Grafe, en 1895, échappèrent à tout blâme.

On devine les désespoirs de l’orthodoxie, toujours croissans. Puisqu’on fait les autorités de l’Eglise tergiversent ou abdiquent, on s’ingénia, parmi les croyans, à trouver des remèdes. M. de Bodelschwingh rêva l’établissement d’une faculté libre de théologie à Herford ; M. Zahn, à lui tout seul, improvisa une chaire à Tubingue, pour y réfuter le libéralisme. Douze cents orthodoxes, réunis à Berlin en mai 1895, émirent divers vœux : ils