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j’y trouve encore du louche, car tu n’as point de christianisme. » Les prédicateurs incroyans, en Allemagne, procèdent souvent comme Faust ; et les auditeurs croyans n’ont pas toujours le flair de Marguerite.

De cette élasticité qu’on peut atteindre dans l’exposition du dogme, M. le professeur Herrmann, de Marbourg, se pique de donner un exemple, à propos de cet article du symbole : « Conçu du Saint-Esprit, né de la vierge Marie. » Il fera comprendre aux orthodoxes que, « pour la foi, cela veut dire que Jésus, en nous rachetant, nous convainc qu’il n’est point un produit du développement naturel de l’humanité, mais qu’en lui Dieu lui-même fait son entrée dans l’histoire humaine » ; et quant aux prétendus « incroyans », il les préviendra que, du moment qu’ils ont confiance en Christ, ils ont « saisi la pensée qu’exprime le symbole. » Observez pourtant que, pour tenir un tel langage, il faudrait que le pasteur appartînt à la théologie « moderne » et que sa foi, comme le dit ailleurs M. Hermann, fût comme un diamant nettoyé de sa gangue, — la gangue, ce sont les croyances des orthodoxes. Et ceux-ci de traduire qu’au jugement de M. Hermann, le prédicateur le plus séant pour tous, dévots et incrédules, ne saurait être qu’un incrédule : on comprend qu’ils s’emportèrent contre une pareille conclusion. C’était en 1893 : ils trouvèrent un écho, légèrement inattendu, dans une longue lettre pastorale des surintendans de Hesse-Cassel.


Nous ne pouvons admettre, disait cette lettre, lorsqu’il s’agit d’entrer dans la charge où l’on prêche la Rédemption, qu’il soit question d’un autre Christ que du Seigneur Christ effectif (wirklich), tel que les évangélistes et les apôtres l’ont annoncé, et à qui l’Eglise a cru et croit encore jusqu’à ce jour conformément à ses symboles, spécialement au symbole apostolique, qui nous met sous les yeux, dans ses grandes lignes, l’image du Seigneur… C’est maintenant un fait notoire, que, de nos jours, on s’efforce de substituer à ce Christ l’image d’un Christ prétendu historique, qu’aucune source historique ne nous fournit, que nous ne trouvons ni dans les lettres des apôtres ni dans un seul des évangiles, et dont on ramasse les traits çà et là dans les évangiles en écartant tout ce qui paraît choquer le sens propre, la pensée personnelle, — l’imago d’un simple fils de l’homme, dont on ne veut connaître ni la naissance de toute éternité, malgré les témoignages que d’après tous les évangiles il en a donnés lui-même, ni la résurrection effective, ni le séjour sur terre après sa mort… On nous enseigne maintenant que la vraie foi évangélique, séparée des grands événemens qu’a concertés Dieu pour le salut, doit reposer uniquement sur l’impression du Christ humain « historique », et que, subsidiairement, ce point de départ étant admis, les pensées religieuses (Glaubensgedanken) qui concernent ces événemens eux-mêmes, naissance, mort, résurrection et ascension du Christ, prendront une forme différente dans les différens individus, mais que cela n’intéresse en aucune façon l’essence de la foi, puisque, pour la foi, ces matières n’ont