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désintéressement de ses adversaires ; bien plutôt il les soupçonne, lorsqu’il les voit apôtres, de vouloir gagner, non point des âmes à Dieu, mais des cerveaux à leur doctrine. Dans les universités, les écoles rivales passent la revue de leurs forces et font l’épreuve de leurs armes ; mais c’est au champ clos des communautés qu’elles prétendent descendre, pour préparer lentement la collision décisive, suprême, entre ceux qui veulent retarder l’évolution du protestantisme et ceux qui la veulent précipiter. Dans quelle mesure, au prix de quels inconvéniens, survit à ces hostilités intestines une certaine unité de l’Eglise protestante ? à ces inconvéniens, quels remèdes pourraient être apportés ? mais quels obstacles s’opposent à l’application de ces remèdes ? voilà ce qu’il nous faut à présent chercher.


I

Si les simples fidèles, par tout l’Empire, prenaient une part active aux luttes théologiques, l’apparente unité de l’établissement religieux disparaîtrait. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer ce qui se passe en Bade ou à Berlin lorsqu’on renouvelle les représentations des communautés : entre les deux listes opposées, « croyante » et libérale, les polémiques se déchaînent ; les libéraux publient des appels contre la « servitude spirituelle », contre les « hypocrites », contre les « porteurs de manteaux » ; et les « croyans » rendent injure pour injure. Après le vote, l’âpreté des haines subsiste : vaincus en Bade en 1895, les orthodoxes traitèrent de sots fieffés (ausgemachte Tröpfe) la majorité des électeurs, et se plaignirent d’ailleurs que certains fanatiques de l’irréligion se fussent pressés aux urnes pour faire triompher, dans l’Église, les opinions les plus avancées. Echauffé par ces argumens un peu grossiers qu’on appelle des argumens électoraux, le suffrage universel, en l’espèce, laisse volontiers aux théologiens de profession l’art et l’intelligence des nuances ; aux subtiles cottes de mailles, aux jolis et pénétrans stylets, que l’école de Ritschl a forgés pour une élite, le commun des laïques préfèrent, lorsqu’ils se mêlent en ces bagarres, la lourde artillerie de l’orthodoxie ou du vieux libéralisme, grosses affirmations qu’aisément ils saisissent, gros mots aussi, parfois, qu’aisément ils redisent ; ce n’est point une vertu plébéienne que l’élégance théologique. Mais cet attrait des ouailles pour des discussions qui les dépassent est un fait exceptionnel. Dans les communautés, mettez à part une élite, qui s’intéresse aux choses d’Église, et qui, lorsqu’il est besoin, pétitionne, proteste, et fait du bruit au nom