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au-dessus du pupitre d’un enfant ou du lit d’un mourant. De même, dans sa course à travers nos monumens, qu’en lui faisant visiter Notre-Dame, l’on ne se croie pas obligé de s’excuser, auprès de lui, de n’avoir pu encore désaffecter ce temple de la superstition ; et quand il entrera au Panthéon, cherchant des yeux l’autel supprimé, qu’on n’insiste pas trop pour qu’il demeure la tête couverte ; car peut-être est-il inutile de lui révéler que, en France, les grands hommes ne peuvent reposer en paix que là d’où l’on a chassé Dieu.

Après cela, s’il convient d’écarter tout ce qui peut choquer ou scandaliser nos hôtes impériaux, il n’importe pas moins de nous garder, dans l’expression de notre joie, de tout ce qui peut paraître excessif ou servile. Certes, la France attache un grand prix à l’honneur que lui fait le tsar de toutes les Russies ; mais en lui témoignant sa reconnaissance, la France ne doit point oublier qu’elle est l’aînée des nations européennes, et qu’aucune n’a derrière elle une aussi longue traînée de gloire. Un pareil passé oblige ; nous ne saurions supporter qu’en s’inclinant devant le tsar, les Français aient l’air d’abaisser, devant lui, la dignité de la France ; même en face de son auguste allié, la France doit savoir se tenir debout. Quelques épreuves que nous ayons traversées, si peu de raisons que nous ayons d’être fiers des hommes qui nous gouvernaient hier et qui peuvent nous gouverner demain, l’humilité ne sied pas plus que la forfanterie, à un pays comme le nôtre. Notre France n’est pas encore assez mince puissance pour être la cliente de personne, fût-ce de l’immense Russie. Ce qui est bon pour une Serbie ou pour un Monténégro convient mal à la France de Louis XIV et de Napoléon, même convertie en République. Le coq gaulois n’est pas encore assez dégénéré pour avoir besoin de chercher un abri sous les ailes de l’aigle moscovite. C’est un allié, non un protecteur, que nous allons recevoir, et c’est d’égal à égal que nous devons traiter avec le tsar. Laissons dire les rivaux ou les jaloux d’outre-Rhin ou d’outre-Manche ; il n’est pas vrai que la France soit résignée au rôle de satellite. Le quai d’Orsay n’est pas encore une succursale de la chancellerie pétersbourgeoise ; nous n’entendons rien abdiquer des droits, rien abandonner du patrimoine de la France. Ce n’est pas de la politique russe, mais bien de la politique franco-russe que nous attendons de notre gouvernement.

Aussi bien, la Russie n’a-t-elle pas à se plaindre de nous ; nous avons assez fait pour elle pour qu’elle daigne tenir compte de nos intérêts. Notre alliance ne lui a pas été inutile ; nous nous en réjouissons ; mais nous avons le droit de lui laisser voir que nous ne l’ignorons point. Entre amis, mieux vaut ne pas calculer le