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crier Vive le tsar, ou Vive l’empereur ? ou ne serait-il pas mieux de s’en tenir au hourra ? Encore un scrupule d’étiquette qui nous laisse assez froid. Au rebours de certains pédans de chancellerie, nous irons même jusqu’à confesser que, entre ces vivats, celui qui nous agréerait le plus, c’est celui que veulent proscrire les dévots du protocole, le Vive le tsar ; il a, pour nous, le mérite d’être moins officiel et de n’être pas équivoque, sans compter qu’il a plus de saveur, étant plus russe et plus populaire. Ne craignez rien, du reste ; qu’on l’appelle tsar ou empereur, Nicolas II saura reconnaître les acclamations dont il sera salué.

Il y a quelques cris cependant dont nous oserons engager Français et Parisiens à s’abstenir sur le passage du couple impérial, — fût-ce au seuil de l’Hôtel de Ville, en présence des députés et des conseillers municipaux de Paris. Tels les cris de Vive la Révolution ! Vive la Sociale ! Vive la Commune ! Vive l’Anarchie ! Vive l’Internationale ! ou même, A bas le Sénat ! A bas le ministère ! A bas les bourgeois. Ce sont là des manifestations qui, pour être parfois tolérées autour du cortège présidentiel, détonneraient sur le chemin du tsar. Ni le socialisme, ni l’anarchie, ni l’internationalisme ne sont en faveur chez notre auguste allié, et si nous avons quelque faiblesse pour eux, nous ferons sagement de ne pas trop le lui laisser voir. Socialistes et anarchistes veulent bien nous informer qu’ils se tiendront tranquilles, annonçant que, durant le séjour du tsar, ils nous feront grâce de la plus petite bombe. Plaise au ciel ! nous ne demandons pas mieux que de les en croire, quand ils s’indignent qu’on ait pu imaginer que les explosifs de leurs amis, les fenians d’Anvers, étaient destinés au couple impérial. Puissent-ils dire vrai ! qu’ils nous accordent une trêve de quelques jours ; autrement, mal leur en prendrait. S’ils ne peuvent réclamer leur part de l’allégresse nationale, qu’ils se gardent d’irriter le sentiment des masses en tentant d’arborer leur drapeau noir ou leur drapeau rouge. Ils apprendraient, à leurs dépens, le peu que pèsent leurs théories, quand dans la chair des foules court un frisson de patriotisme.

Le tsar et la tsarine vont visiter Paris, infortunés touristes impériaux, condamnés à voir, en un jour, l’œuvre de dix siècles. Qu’au moins leurs guides officiels ne se croient pas tenus de leur faire admirer ce qui constitue l’œuvre propre de la troisième république. Qu’on leur fasse grâce de nos écoles, aussi bien que de nos hôpitaux ; non qu’un tsar ne s’y puisse intéresser, tout comme un président de république, mais les beautés de la laïcisation pourraient lui échapper ; et peut-être aurait-il la naïveté de demander, cet autocrate qui, à l’instar de ses moujiks, a une icône dans chaque salle de ses palais, ce qu’a de dangereux une croix