Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

François-Joseph. Nicolas II connaissait le chemin de Vienne ; étant encore prince héritier, il avait déjà, sous le règne de son père et par l’ordre de son père, gravi l’escalier de la Hofburg ; et à la suite de la rencontre du jeune césarévitch et du vieil empereur, on avait cru remarquer une détente dans les relations entre les deux empires. A qui veut la paix de l’Europe, à qui désire qu’il y ait encore une Europe, je ne saurais guère souhaiter une meilleure nouvelle que celle d’un rapprochement entre les Habsbourg et les Romanof. Tout bon Européen s’en devrait réjouir, et aucun Français ne saurait s’en alarmer.

L’histoire a de curieux reviremens et d’instructifs retours ; s’il est aujourd’hui une puissance qui n’ait contre l’Autriche-Hongrie ni haine, ni jalousie, c’est assurément son ancienne rivale, la France. Qu’ils sont loin de nous, les temps où tout Français voyait dans ce que nos pères appelaient la maison d’Autriche l’ennemie naturelle ! Depuis que, repliant ses ailes, l’aigle veillie des Habsbourg a cessé de couvrir de son ombre l’Allemagne et l’Italie, plus de cause de conflit entre la France et la vieille monarchie. Entre elles, pour qui veut regarder au fond des choses, il n’y a plus qu’un intérêt commun, qui, pour toutes deux, devrait tout primer, le maintien ou le rétablissement d’une Europe. Après s’être longtemps disputé la suprématie et s’être porté, l’une à l’autre, des coups qui n’ont souvent profité qu’à leurs jeunes rivaux, elles ne peuvent, toutes deux, défendre ou recouvrer leur grandeur ancienne qu’en reconstituant, en face de puissances plus jeunes, ce que, faute d’autre terme, nous devons bien nommer des vieux noms d’équilibre ou de balance de l’Europe. Une Autriche n’est guère moins nécessaire à l’Europe qu’une France ; et aucun État ne perdrait plus que la France au morcellement ou à la dissolution de la mosaïque austro-hongroise. Il est bon que nous en ayons conscience, la France ne peut guère rester une puissance de premier rang qu’autant que l’Autriche demeure elle-même une puissance de premier ordre, et j’ajouterai une puissance de l’Europe centrale. Pas plus que la Russie, en effet, nous ne saurions souhaiter que l’axe historique de l’Autriche se déplace vers l’Orient, car ce serait livrer tout le centre de l’Europe à l’Allemagne. Alors même que, par leurs alliances, elles se trouvent rangées en des camps différens, France et Autriche ont tout intérêt à ne pas s’affaiblir l’une et l’autre. Aussi ai-je toujours professé, pour ma part, que si nous pouvions encore avoir une diplomatie, et si l’instabilité de nos gouvernemens nous permettait d’avoir une politique, un des objectifs principaux de notre politique devrait être de travailler au rapprochement de la