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fondateur de l’entente ; ainsi en juge, après lui, son héritier et son continuateur, l’empereur Nicolas II. Je ne sais s’il reste encore, parmi nous, de ces rêveurs qui voyaient déjà, dans leurs songes, l’armée française et l’armée du tsar marchant à la rencontre l’une de l’autre, à travers l’Allemagne, et s’embrassant, sur le champ de bataille, au cœur de la Prusse vaincue ? Est-il encore, au fond de la France, de ces téméraires ingénus au patriotisme trop crédule, le voyage de Nicolas II semble fait pour leur dessiller les yeux. Ce n’est pas la guerre que, dans sa visite à Vienne ou à Breslau, le jeune tsar est allé porter aux empereurs ses voisins. Si l’Europe en doit jamais être le témoin, le duel suprême, tant de fois annoncé par les voyans, du Slave et du Teuton, ne semble pas encore sur le point de faire trembler le continent. Peut-être sera-ce pour le XXe siècle ; peut-être seulement pour le XXIe ; peut-être bien pour jamais, tant chacun des deux antagonistes en semble redouter l’heure. En attendant et tout en pressant chacun ses armemens, tout en germanisant ou russifiant chacun à force, l’Allemand et le Russe, le Slave et le Teuton sont tout à la paix. Les empereurs s’embrassent et se portent des toasts, les peuples applaudissent et poussent des hourrahs, — et les rêveurs, qui, sauf à en changer, ne se lassent jamais de poursuivre leurs songes, se demandent déjà si l’aube de la paix perpétuelle ne va pas enfin se lever sur le monde.


II

Suivons l’empereur Nicolas II dans son tour d’Europe. C’est tout ensemble un voyage diplomatique (bien que le tsar ait eu le regret de perdre, dès la première étape, son ministre des Affaires étrangères) et un voyage de famille, on pourrait presque dire un voyage de noces. Le jeune tsar a voulu visiter à la fois les empereurs, ses frères en souveraineté, et les princes, ses parens par le sang ; et comme les maisons régnantes sont alliées entre elles par des nœuds multiples, il s’est trouvé parfois qu’en faisant une visite politique, il faisait du même coup une visite de famille. Après avoir été reçu par les chefs des grands Etats, Nicolas II doit, au retour de France, terminer son voyage par le berceau de la tsarine, la petite cour de Darmstadt, une de ces maisons allemandes en possession de fournir la Russie d’impératrices. Nicolas II n’a eu garde d’oublier le pays de sa mère, cette verte et calme terre danoise, la seule contrée, en dehors de la Russie, où son père Alexandre III aimât séjourner, y revenant prendre, chaque année, ses courtes vacances d’autocrate. Et comme