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De Cette à Marseille

Pendant les premières lieues, le train roule sur une bande étroite de sable, entre le grand étang salé et la mer. L’eau arrive à dix pieds des roues sur un sable poli ; profonde de six pouces, elle remue brune et claire avec des irisations charmantes. Je ne peux pas me lasser de voir l’eau.

La mer est bleue ; une vraie vierge heureuse et riante ; une Vénus encore chaste. — Le ciel est blanc, tant la lumière scintille et ruisselle. — Toutes les plus belles idées grecques reviennent à l’esprit, l’hyménée des dieux, les corps de marbre couchés entre les roseaux, pendant que les vagues viennent baiser de leur écume les pieds des déesses.

Les tamaris fins et frissonnans commencent à se montrer par bandes ; à l’horizon les belles montagnes dans les lointains violets ; tout à l’entour, les plantes infécondes, filles de la mer et du sable ; la mer elle-même, au fonda droite comme un gros sillon de velours pâle. Puis les vignes ; elles avancent jusqu’au bord de la mer ; quel beau et bon pays, cultivé, fructueux jusqu’à l’endroit où arrivent les vagues. — Ces grandes plaines sont d’une verdeur admirable ; il n’y a que la vigne qui puisse végéter si riche et si jeune sous ce soleil. Les grappes noires pendent ; les vignerons, avec leurs cuves ambulantes, sont plongés jusqu’à mi-corps dans la verdure.

On monte à travers Frontignan, Lunel, jusqu’à Montpellier. — La plaine est un vrai jardin, vignobles coupés d’amandiers, de pêchers, et, çà et là, des maisons de campagne proprettes. — Que de vignes en France ! Nul pays n’en a une telle proportion et de si fines. On a essayé de transporter des centaines de nos vignerons avec des plants français dans la Russie méridionale ; on n’a pu reproduire ce bouquet. — Le pain et le vin chez nous ; en Angleterre le lait et la viande. — Certainement la vigne entre pour moitié dans les causes de notre tempérament et de notre caractère.

Vers Nîmes, les oliviers commencent. Campagne sèche et blanchâtre. Les oliviers par rangées la couvrent de leur feuillage terne et pâle ; et leur taille courte, bossue, leur air rabougri, attristent.

On redescend ; la vraie Provence apparaît : la Crau d’abord, énorme plaine stérile, couverte de pierres, puis les montagnes concassées, bosselées, nues ou mal revêtues de plaques éparses d’un vert noirâtre, broussailles de pins rabougris, de bruyères,