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je lisais cette nuit Aus meinem Leben. Quelle innocence de mœurs et quelle froideur de sang dans toutes ces libertés permises de son temps ! Les jeunes gens s’embrassent, donnent des gages, jouent au mariage, vont se promener en tête à tête, se tutoient, etc. Mais vous avez donc de la glace dans les nerfs ?

M. B… nous montre d’abord le musée ; j’en ai parlé à la fin de mon Voyage aux Pyrénées ; il est charmant. C’est un ancien cloître ; deux cours avec des arcades qui font un promenoir carré, séparé de la cour par des piliers en trèfle. Ces cours sont pleines d’arbustes du plus beau vert, et les galeries ont des toits de tuiles rouges ; au-delà, monte une haute tour en briques, ornementée de petites fenêtres cintrées avec des colonnettes. — Ce rouge debout, solide, dans le magnifique bleu du ciel, réjouit le cœur. — Nous remarquons que le gothique du Nord ne s’est jamais véritablement établi ici. Voyez la collection des églises italiennes ; rien de triste, de douloureusement fantastique. Le gothique lui-même y est transformé, pacifié, tourné vers la beauté vraie et presque saine. La grande curiosité de la ville est Saint-Sernin, église romane du XIe siècle, « la plus belle de France », dit M. B… (c’est un homme du monde, mais la passion, l’orgueil involontaire et aimable de l’antiquaire, percent sous sa modestie obligée). En effet, cette église est vaste et curieuse, d’un style pur ; on travaille à la restaurer. C’est du pur roman et encore tout latin ; à ce titre, l’esprit en est intéressant ; c’est la limite de deux arts. — Voici ce qui est latin : toutes les arcades circulaires à plein cintre, aucune ogivale ; la voûte principale elle-même cintrée par des arcs semblables ; les piliers carrés, sans ornemens, ayant sur le devant une colonne demi-saillante qui monte pour expliquer et soutenir la voûte supérieure. Partant, une grande impression de solidité, quelque chose de simple, de sain, de serein, qui par sa régularité et sa force paisible rassure l’esprit.

Le passage d’un art à l’autre se voit dans l’altération des chapiteaux : quelques-uns gardent l’acanthe grecque ; mais la plupart ont déjà des feuilles transformées, ou un lacis barbare de mailles et de petits animaux entremêlés les uns dans les autres.

Cinq voûtes et nefs ; à mesure qu’on approche du mur latéral, chaque voûte baisse de hauteur. Les fenêtres sont de médiocre grandeur, les murs sont très épais ; point de vitraux. Cette abondance de formes rondes et de belles structures antiques est très noble, et la transformation de l’antique par l’élévation de l’édifice, par la galerie, par le plan en croix de l’église donne un vif plaisir, une sensation de nouveauté et d’invention.

Les figures debout en bas-reliefs qui sont comme incrustées