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avec une grâce naturelle. Le vieux voisin boutiquier qui les accoste est très bien traité. Elles sont presque dames au premier aspect. Le Méridional a naturellement une sorte d’éducation, il est dégrossi de naissance. Le visage est régulier, brun pâle ; on se croit au premier instant devant une réelle beauté profonde ; on imagine de la finesse, de l’esprit vrai, de la noblesse même. — Au bout d’un quart d’heure, le tuf se montre ; tout est à la surface en ce genre de beauté et d’esprit. Elles ont la grâce, la vivacité d’un oiseau, d’une fine mésange babillarde ; rien de plus, c’est un caquet. Pour leur plaire, il faudrait les mener au bal, les régaler, faire des calembours, parler beaucoup, les faire parler davantage, leur faire écouter des contredanses ou de la musique de régiment. — « Ah ! comme les étoiles sont plus belles quand elles se mirent dans le ruisseau de la rue du Bac. » Elles me font penser à la Juliette du pauvre Heine qui devait passer singulièrement son temps avec elle, aux Pyrénées. — La Parisienne est autre ; plus politique, plus curieuse du grand luxe et de la grande corruption.


Promenades dans Toulouse

Mon impression hier, sur le Cours, est que ces gens-là ont besoin d’être gouvernés par autrui. — Ils sont parfaitement incapables d’avoir le moindre empire sur eux-mêmes. Le sang, l’action, la colère, leur montent tout de suite à la tête. On me contait comment ils ont manqué, en 1841, d’écharper M. Plougoulm, le procureur général…

Plus j’avance, plus je me convaincs de la tournure plate de notre démocratie. L’air y est mortel aux hommes complets, aux êtres de la grande espèce. — Il y a des monstres et des machines puissantes, rien de plus ; au-dessous, la foule des prud’hommes. C’est un idéal atteint, mais un idéal inférieur. En somme, l’homme complet est celui qui est de loisir, qui n’a pas de métier, qui ne songe qu’à demi à son intérêt propre, qui est préoccupé de vues générales et qui commande, comme l’aristocratie anglaise d’aujourd’hui, les Romains et les Athéniens dans l’antiquité. Pour que cette aristocratie dure et se fasse pardonner, il faut qu’elle emploie sa force et son temps au service du public ; il faut de plus qu’elle aille chercher dans le public les enfans distingués. — Un législateur doit se dire : Il faut produire les plus beaux, les plus parfaits spécimens possibles de nature humaine, choisir comme dans un troupeau, faire des élèves supérieurs au moral comme au physique, c’est-à-dire grands de cœur et d’esprit,