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CARNETS DE VOYAGE

LE MIDI[1]


Bordeaux.

En avançant vers le Midi, le type change visiblement. — Déjà, à Poitiers et à Ruelle, il était autre. C’est surtout chez les jeunes filles qu’il faut le voir. Quelque chose de fin et d’alerte ; quand l’enfant est très jeune, encore neuve et un peu modeste, l’effet est charmant. Le bonnet blanc fait un large chignon et se retrousse haut étalé, à peu près comme ceux de 1830. Cette belle tache blanche, nette et propre, relève le fin et intelligent visage, peu coloré, légèrement bruni. Le cou est svelte, les yeux noirs, le corps un peu maigre. Cette gaieté intelligente fait plaisir.

Les traits sont encore bien plus marqués à Bordeaux. L’accent, le regard, les proportions, tout change. Les gens sont petits, remuans ; leurs gestes, leur démarche font penser à des rats, à des souris trottinantes et agiles. Les plus pauvres filles portent bien et coquettement leur robe, la font bomber, ployer, se donnent une jolie taille. Le foulard qui les coiffe est élégamment posé. Du reste, cette ville-ci est une sorte de Paris, magnifique et gaie,

  1. Les Carnets de voyage, dont nous publions aujourd’hui un fragment, ont été écrits par M. Taine au cours des tournées qu’il fit, de 1863 à 1866, comme examinateur d’admission à l’École de Saint-Cyr. Quelques parties avaient déjà été reprises par lui, notamment dans le Voyage en Italie qu’il publia en 1866 ; c’est le cas pour la page sur la Niobé de Florence qui termine ce morceau. Les lecteurs de la Revue compareront peut-être avec intérêt ce premier jet de la pensée et de l’image avec la page du livre où elles ont reçu leur forme définitive.