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graves ; mais il avait une vue très juste des intérêts de son pays et des moyens de les servir, et dans l’emploi de ces moyens il a fait preuve d’une habileté consommée.

Personne n’a oublié la campagne diplomatique que, d’accord avec M. Hanotaux, il a poursuivie en Extrême-Orient entre la Chine et le Japon. L’Allemagne y a été mêlée en tiers, mais ce n’est pas elle assurément qui en a tiré le plus grand profit : on ne s’est même expliqué l’énergie de son intervention que par le désir de faire œuvre agréable à la Russie au début d’un nouveau règne, et peut-être aussi de ne pas laisser la France seule dans ce premier tête-à-tête. Notre rôle, à nous, était tout tracé. Notre voisinage avec la Chine nous conseillait à son égard de bons procédés dont nous n’avons d’ailleurs pas tardé à recueillir les fruits ; et puis, comme l’a dit M. Hanotaux à la tribune de la Chambre, nous devions mettre avant tout la préoccupation de nos alliances. Mais c’est évidemment la Russie qui a obtenu en Extrême-Orient le principal avantage, parce qu’elle y avait aussi le principal intérêt. La Corée a été arrachée au Japon et rendue à elle-même ou à la Chine, et peu de temps après la Russie a conclu avec cette dernière des arrangemens dont les termes ne sont pas encore bien connus, mais qui ont singulièrement intrigué et préoccupé l’Angleterre. Et le prince Lobanof, lorsqu’il paraissait tout entier à l’orient de l’Asie, n’oubliait pas celui de l’Europe. Son attention se portait également sur les Balkans. Nous constations, il y a deux ans à peine, les progrès constans que la politique autrichienne faisait de ce côté. La Russie, piquée de l’ingratitude de la Bulgarie, ou plutôt de M. Stamboulof, se confinait dans un recueillement boudeur qui ressemblait à de l’inertie : elle laissait le champ libre à sa rivale, qui avait admirablement su s’en emparer. La Serbie et la Bulgarie gravitaient dans l’orbite de l’Autriche, et semblaient ne pas devoir en sortir. De plus en plus, l’influence du cabinet de Vienne devenait prépondérante dans toutes les principautés ou royaumes balkaniques. Le prince Lobanof a compris que le moment était venu de rompre, au moins par quelques anneaux, cette chaîne tendue tout le long du Danube entre son pays et l’empire ottoman ; il l’a essayé avec à-propos, et il y a réussi. La Serbie s’est rapprochée non seulement de la Russie, mais de son antique ami et allié le Monténégro ; l’intimité paraît même être devenue très étroite entre le jeune roi Alexandre et le prince Nicolas. En Bulgarie, au moment même où mourait Stamboulof, victime des hostilités que son implacable politique avait accumulées sur sa tête, le prince Ferdinand était occupé à sa réconciliation avec le tsar. On sait comment cette réconciliation s’est faite, et par quels engagemens religieux elle a été scellée. Qui aurait pu s’y attendre il y quelques années seulement ? Tant il est vrai que la logique des situations finit toujours par l’emporter sur les combinaisons provisoires de l’habileté ou de l’intrigue humaines. Certes,