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n’avons pas besoin de le dire, besoin de surveillance et de contrôle, se recommande par sa simplicité, et il y a tout bleu de croire qu’il pourrait être utilisé pour maintenir dans la pratique les réformes qu’il a contribué avec tant d’efficacité à faire accepter en principe par tous les intéressés. Pourquoi les consuls ne seraient-ils pas chargés de veiller, sans esprit d’empiétement, mais avec assiduité, à l’exécution des réformes, et d’en référer à leurs ambassadeurs ? On pourrait ainsi arrêter le mal dans son germe, et en prévenir le développement qu’il est quelquefois si difficile d’arrêter plus tard.

Quoi qu’il en soit, la situation de l’Orient, telle que les derniers événemens l’ont manifestée, est des plus inquiétantes, et nous ne voyons d’autres moyens d’y pourvoir que ceux que nous venons d’indiquer. L’intégrité de l’empire ottoman a toujours été dans les traditions de la politique française ; plus que jamais elle est nécessaire au repos de l’Europe ; mais, au point où en sont les choses, avec les besoins nouveaux qui ont pénétré partout, avec l’immense publicité qui ne laisse presque rien ignorer de ce qui se passe, soit dans les montagnes de la Crète, soit dans un village perdu au fond de l’Anatolie, le maintien de cette intégrité ne peut plus se concevoir qu’avec de nouveaux procédés de gouvernement et d’administration. Le sultan est-il à même de le comprendre ? Oui, sans doute, car ce n’est pas l’intelligence qui manque à Abdul-Hamid, ni le sérieux dans l’esprit, ni l’application au détail des affaires, et il a donné dans plus d’une circonstance des preuves d’une véritable bonne volonté. Le malheur est que les influences les plus diverses, les plus contradictoires, s’exercent successivement sur lui, et que celles qui agissent de la manière la plus continue ne sont pas les meilleures. Dans la vie de claustration qu’il mène, l’air de l’Europe a beaucoup de peine à parvenir jusqu’à lui. Il devrait savoir pourtant qu’il a en Occident des amis sincères, dont les intérêts se confondent avec les siens et dont il ferait sagement d’écouter les conseils. Nous ne voulons désigner plus particulièrement personne, et au surplus, lorsqu’il s’agit des intérêts généraux de la civilisation et de l’humanité, il n’existe plus que de très faibles divergences d’attitude entre les puissances. Personne aujourd’hui, nous en sommes convaincus, ne désire la chute de l’empire ottoman. L’Angleterre elle-même, malgré le langage imprudent que tiennent quelquefois ses ministres, en serait la première effrayée. L’Europe n’est pas prête à subir une crise aussi redoutable. Mais le sultan aurait tort de tirer de cet état des esprits une sécurité trop grande. Pour peu qu’il y réfléchisse, il se rendra compte que, suivant le langage de Shakspeare, il y a quelque chose de pourri dans son empire. Comment lui, qui n’est pas naturellement cruel, a-t-il pu faire couler tant de sang ? Un état de choses qui ne se maintient que par des massacres intermittens, et quels massacres ! on n’ose pas dire à quel chiffre s’élève le nombre des