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sa « grandeur », que les Vendéens se sont « dévoués à une conviction », qu’ils ont « laissé des exemples de courage et de fidélité dignes de l’honneur de la France ». Néanmoins il refuse des statues à leurs chefs. Car « l’histoire peut tenir compte des circonstances ; l’enseignement brutal des monumens ne comporte pas de subtilités ». C’est ce que nous n’avons fait que redire après lui. L’enseignement par les statues est un enseignement brutal. Il ne retient que le trait dominant d’une physionomie, que l’acte, le mot où se résume une vie tout entière. L’idée qui s’en dégage est précise et sans nuances. Elle entre dans des intelligences terriblement simplistes. Elle devient un des fermens qui travaillent une démocratie dont il semble qu’on veuille, au lieu de les contraindre, développer et déchaîner les bas instincts. Une nation vit de concorde et non de guerre civile, une société vit de travail et d’esprit de sacrifice, non de flânerie et de désir de jouissance. Or celui-ci a jadis soulevé la guerre civile, et du haut de son piédestal il semble rappeler à ses concitoyens, pour le cas où ils seraient tentés de l’oublier, que l’insurrection peut être le plus saint des devoirs. Celui-là a été en son temps un véritable fléau pour tous ceux qui l’ont approché. Ce troisième a dans sa vie comme dans ses livres donné l’exemple et prêché la théorie du cynisme. Cet autre, par son nom seul, évêque les souvenirs les plus lugubres de notre histoire. Cet autre enseigne aux jeunes gens le mépris de tout ce que nous leur recommandons ; il les détourne du labeur, du respect de soi, de la dignité de la vie. Et ce sont dans notre pays de France, fertile en grands hommes et riche des plus pures gloires, ce sont ceux-là que nous avons choisis pour en faire des éducateurs publics ! La Ville de Paris a donné l’emplacement où devait s’élever leur image ; le gouvernement a délégué un de ses représentans pour s’associer à l’hommage qui leur est rendu ; ils témoignent ainsi en faveur d’une sorte de doctrine officielle, d’une morale d’État qui, par malheur, se trouve en contradiction flagrante avec la morale. C’est ce spectacle même qui nous paraît démoralisant. Nous demandons si une société a le droit d’exalter précisément tout ce qui est pour elle une menace de ruine. Nous demandons quels lendemains se prépare une ville qui dresse sur ses places la statue de l’Émeute, la statue de la Désobéissance aux Lois, la statue de l’Immoralité, la statue de la Violence et de la Haine.


RENE DOUMIC.