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Ce que signifie la glorification de Danton, c’est qu’il est glorieux de déchaîner la violence et le meurtre.

Après le drame, le vaudeville. Entrons dans ce jardin du Luxembourg, l’incomparable jardin, majestueux et souriant, avec ses avenues plantées de vieux arbres et ses allées pleines de jeux d’enfans. Quelques étudians viennent y flâner. C’est à eux que Mürger adresse ses conseils et qu’il découvre les perspectives enchanteresses de la vie de Bohême, vie délicieuse, que n’attristent ni la contrainte de travailler, ni l’ennui de payer ses dettes, vie d’insouciance et d’exquise paresse, de jolies escroqueries et de coquineries élégantes, encore embellie par les rapides apparitions de Mlle Musette ou les laveurs de l’agréable Phémie, teinturière. Cependant elle passe, cette vie si courte et déjà manquée ; et l’heure est déjà venue de constater que le cerveau est vidé, le cœur tari, le courage usé, que les habitudes sont prises et qu’on s’en va devenir de jour en jour plus semblable à cette chose morne : un vieux bohème, à cet être dangereux, un bohème aigri chez qui les déceptions d’une existence gâchée se tournent en haine… C’est pourquoi chez ce poète de la médiocrité impuissante, le ton de gouaillerie sonne si faux et le rire fait mal. Un de ses récits les plus connus, et qui est devenu, sous la forme du théâtre, une bluette encore représentée, le Bonhomme Jadis, contient ce qu’on pourrait appeler sa philosophie. Il y est dit expressément que le devoir de la jeunesse, c’est de s’amuser. Je ne connais rien de plus répugnant que cette histoire d’un vieillard qui se ragaillardit en donnant à un jeune homme des leçons de polissonnerie. Ajoutez que ces tristes conceptions n’ont pas même le mérite d’être relevées par quelque mérite littéraire. Dans la prose comme dans les vers, Mürger reste un des plus piètres écrivains que nous ayons. La forme est lâche et plate. Un fade et mais sentimentalisme cache mal la vilenie du fond. Dans le mensonge de ses livres, Mürger a donné pour spirituel ce qui est imbécile et pour gai ce qui est lugubre. Son excuse, si c’en est une, est qu’il a été sa propre victime. Quelle duperie d’avoir célébré dans une harangue officielle celui pour qui il eût suffi de l’aumône d’un peu de pitié !

Et ce buste semble dire à ceux qui ont vingt ans : « Faites la fête et moquez-vous des pédans ! »

Nous pourrions prolonger cette revue des statues de Paris ; il ne serait pas moins instructif d’établir en regard la liste des défunts illustres qui n’ont pas même un buste, de ceux qui, suivant les apparences n’en auront jamais, et de ceux aussi dont on trouve qu’ils peuvent attendre. Un comité s’était formé pour la statue d’André Chénier : il a dû se dissoudre ces jours-ci faute de pouvoir aboutir. Pour le monument de Victor Hugo, la souscription languit : c’est que Victor Hugo a cessé d’être un mannequin politique : il n’est plus qu’un grand poète. La Société des gens de lettres voudrait bien rendre enfin son