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Il a quitté l’école et il est à la veille d’entrer dans la vie. Les préceptes abstraits ne lui suffisent plus et il comprend que l’héroïsme à la Plutarque s’adapte mal aux exigences de la société moderne. Mais elle a, cette société, ses héros, ceux-là mêmes dont elle dresse l’effigie au coin de ses carrefours. Il est naturel qu’il se tourne vers eux et qu’il les interroge. Qu’ont-ils fait quand ils étaient des hommes de chair ? Quelles émotions ont fait battre leur poitrine, à quels sentimens ont-ils ouvert leurs cœurs, vers quelles idées ont-ils haussé leurs âmes ? Quelles sont les paroles qu’ils ont dites ? En quel sens s’est exercée leur action ? A coup sûr, et en dépit des faiblesses qui sont la marque de l’humaine condition, rien n’a trouvé accès en eux qui ne fût noble et généreux. La volonté chez eux a dompté l’instinct, et ils ont étouffé ce tumulte que font en nous les appétits de jouissance, les passions de haine et de violence. Ils ont fait rayonner autour d’eux leur beauté intérieure. A mesure qu’ils passaient parmi les hommes, ils y ont répandu plus de concorde, plus d’harmonie, plus d’amour. Ils ont travaillé comme de bons ouvriers à cette tâche commune du progrès qui fait que l’humanité, si elle ne devient pas plus heureuse, devient meilleure et s’écarte davantage de la brutalité et de la férocité primitives. Ils ont porté témoignage pour le bien. C’est de quoi nous leur savons gré. Qu’ils nous rendent donc le dernier service que nous en attendons encore ! Qu’ils rompent leur silence ! Qu’ils révèlent leur secret ! Qu’ils disent la parole de vie à celui qui la leur demande, et l’ayant, à des signes certains, reconnu pour un des leurs, qu’ils l’accueillent comme font des aînés, propices au nouveau venu, qui réclame sa place parmi les mieux faisants !

Prenons donc par la main ce jeune homme et faisons avec lui une courte promenade à travers les symboles de bronze où Paris, en ces quelques dernières années, a mis l’expression de sa pensée. Partons, comme il convient, de cette place de la Bastille, véritable entrée du Paris moderne qui fait dater son existence du jour où l’émeute força la prison d’État, tua Flesselles et de Launay, dans l’espoir de rendre le marquis de Sade à la société. Passons devant l’Hôtel de Ville réédifié sur les ruines qu’avait faites l’incendie. Il est gardé par un cavalier de fière allure, le front haut, l’air imposant et calme. C’est le prévôt des marchands, Etienne Marcel. Sa carrière fut courte et bien remplie. On était au lendemain de Poitiers. Le pays était envahi, le roi prisonnier, le pouvoir aux mains d’un enfant débile ; ou plutôt le pouvoir appartiendrait à celui qui se donnerait la peine de le ramasser dans le désastre public. Marcel fut cet homme-là. L’ordonnance de 1357, qu’il fit signer au Dauphin, était plus qu’une réforme. Elle mettait l’administration entre les mains des états. « Constituer un nouveau gouvernement au milieu d’une telle guerre, c’était une opération singulièrement périlleuse, comme celle d’une armée qui renverserait son ordre de bataille en