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cela et quoiqu’elles aient retiré de la circulation une partie de leurs bons, en les acceptant en échange de créances douteuses, leur position est difficile, puisqu’elles doivent être en mesure de rembourser, avant dix ans, plus de 1 300 millions de francs de dépôts.

Les gages sur lesquels elles ont prêté ont subi une effroyable dépréciation. La persistance des bas prix de la laine en 1893 et 1894 n’a fait qu’aggraver la situation des squatters, dont un certain nombre semblent être dans l’impossibilité de se libérer à jamais. Quant aux terrains urbains et aux maisons, ils ont perdu les deux tiers ou les trois quarts de leur valeur. Dans les plus beaux quartiers de Melbourne, des propriétaires, qui menaient, il y a cinq ans, un train effréné, offrent aujourd’hui de louer leurs somptueuses habitations à la simple condition de les entretenir en bon état, ainsi que les jardins y attenant. Les logemens les plus modestes ont subi la même dépréciation : telle petite maison, louée à raison de 130 francs par mois avant le moment de la plus grande spéculation, ne se payait plus, en 1895, que 30 francs ; en 1888, on en louait de pareilles à 200 francs. C’est que la ville de Melbourne a été effroyablement atteinte par cette crise : sa population qui, de 1881 à 1891, avait augmenté de 20 000 âmes par an, a diminué d’autant depuis ; de 490 000 habitans, elle est tombée, d’après les estimations officielles, à 444 000 en décembre 1893 ; elle aurait encore perdu 15 à 20 000 personnes l’année suivante, et un peu moins en 1895. Les recettes de son réseau de tramways sont tombées de 14 millions en 1890-1891 à 9 millions en 1894-95, témoignant de la diminution et de l’appauvrissement des habitans, du mauvais état des affaires. De même, les chemins de fer de la colonie de Victoria, dont le réseau est presque moitié plus considérable qu’il y a six ans, ont un chiffre total de recettes brutes d’un sixième inférieur. Partout on relève les signes d’une dépression profonde.

J’ai cité les faits qui se rapportent à la colonie de Victoria, parce que c’est elle qui donnait l’impulsion à toutes les autres, parce que c’est là que l’apparente prospérité produite par l’excès de spéculation et l’abus du crédit a été le plus caractérisée, et le désastre qui l’a suivie le plus profond. Elle a été depuis quinze ans la colonie type australienne, mais on retrouve dans toutes les autres les mêmes traits, un peu atténués. En Australie du Sud, la secousse a été presque aussi forte, en Nouvelles-Galles un peu moins, parce que les ressources réelles en sont plus grandes que celles de Victoria et que le développement en avait été moins artificiel ; dans le Queensland moins encore, parce que le pays est tout à fait neuf. La Nouvelle-Zélande, où une crise analogue,