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du Royaume-Uni à retirer leurs dépôts. Le malheur voulut que ces deux éventualités se produisissent à la fois : la chute de la grande spéculation immobilière à Melbourne et une forte baisse du prix de la laine, rendant fort difficile la situation des squatters, eurent lieu au moment même où les désastres financiers des pays de l’Amérique et de l’Europe méridionales ébranlaient profondément le marché de Londres et obligeaient à liquider l’une des plus grandes et des plus anciennes maisons de banque de l’Angleterre. Les relations entre les diverses parties du monde sont si étroites aujourd’hui que la crise de l’Argentine, les troubles du Brésil, la banqueroute du Portugal et de la Grèce eurent leur contrecoup en Australie et y précipitèrent un désastre.

La période de spéculation qui avait atteint son point culminant à Melbourne en 1888 continua jusqu’en 1890 ; en 1891, la crise commença, non par les banques proprement dites, mais par de nombreuses institutions financières, improprement affublées de ce nom, qui servaient à leurs dépôts à un an un intérêt atteignant jusqu’à 7 pour 100. Toutes ces sociétés, qu’elles s’appelassent banques ou bien Land Building ou Trade Companies, pratiquaient, en l’exagérant encore, la politique d’emprunts à court terme et de prêts à long terme des grandes banques ; beaucoup d’entre elles, après avoir divisé en petits lots et vendu à des prix très élevés, payables par annuités, les terrains qu’elles détenaient, s’étaient empressées de répartir entre leurs actionnaires tout le profit présumé de l’opération, en le prélevant sur les dépôts ; souvent les acheteurs, qui n’avaient eux-mêmes d’autre but que de spéculer, abandonnèrent leurs lots après avoir versé les premiers acomptes ; les compagnies se trouvèrent alors dans l’impossibilité de faire face à leurs engagemens. De juillet 1891 à mars 1892, 41 sociétés durent suspendre leurs paiemens tant à Melbourne qu’à Sydney : leur capital s’élevait à 135 millions de francs, leurs dépôts à 365, leurs autres dettes à 90 millions. Trois des trente banques d’émission australiennes furent entraînées dans la crise et durent fermer leurs portes ; deux autres liquidèrent en 1892, une troisième en janvier 1893.

À ce moment, la spéculation immobilière s’était complètement effondrée ; la baisse des prix de la laine qui s’étaient affaissés de 15 à 20 pour 100 depuis 1891 avait rendu fort embarrassée la position des squatters, grands débiteurs des banques, et leurs cliens anglais, fort alarmés des nombreuses faillites et déjà très atteints d’autre part, retiraient leurs fonds en grand nombre. Au printemps de 1893 eut lieu une catastrophe financière comme il n’y en a peut-être pas d’autre exemple : douze des vingt-quatre