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IV

Comment l’Australasie a-t-elle atteint le prodigieux développement économique dont nous venons de faire le tableau et qui peut se résumer par la valeur totale de sa production en 1891, — 117 millions et demi de livres sterling ou 2 milliards 940 millions de francs, soit 750 francs par tête, chiffre qui n’est atteint en aucune autre contrée — et par celui de son commerce extérieur dans la même année : 2 milliards 120 millions, dont 1 080 millions d’exportations[1] ? Comment ont pu s’élever ces grandes villes, se creuser ces ports, se construire ces 20 000 kilomètres de chemins de fer ? Les colons venus du vieux monde et les capitaux qu’ils apportaient avec eux n’auraient pas suffi à pareille tâche ; mais l’Angleterre a permis à ses fils expatriés de puiser largement dans ses trésors, et c’est grâce aux énormes sommes qu’elle leur a prêtées, non sans en retirer un important profit, qu’ils ont pu parfaire en si peu de temps une œuvre si colossale. La prospérité si rapidement acquise par l’Australasie est ainsi une démonstration éclatante de l’utilité de la colonisation pour le pays colonisé aussi bien que pour le pays colonisateur, de l’importance du capital dans la production de la richesse, et de la puissance du crédit. Elle n’a que trop montré aussi, dans ces derniers temps, combien funestes peuvent être les abus de celui-ci.

A la fin de 1871, les Anglais avaient déjà placé en Australasie plus de 1 900 millions de francs, dont 825 étaient prêtés aux gouvernemens et aux municipalités et 1 118 engagés dans des entreprises particulières. Dans les dix années suivantes, le chiffre des dettes publiques s’accrut de 1 300 millions, tandis que les immigrans arrivés dans les colonies y apportaient 578 millions et que 500 nouveaux millions étaient encore placés par des capitalistes britanniques dans diverses entreprises. De l’ensemble des deux derniers nombres, il faut déduire 585 millions représentant des sommes retirées d’Australasie par leurs possesseurs ou simplement transférées d’une colonie dans une autre. La caractéristique de cette période, 1871-1881, fut surtout l’accroissement des dettes

  1. Les chiffres que nous donnons pour le commerce australasien sont ceux du commerce extérieur seulement, c’est-à-dire du commerce avec les possessions britanniques en dehors de l’Australasie et les pays étrangers. Les importations et exportations intercoloniales n’y sont pas comprises. Pour juger de l’énorme importance relative du commerce de l’Australie, il faut se souvenir que celui de l’Angleterre était à la même date de 19 milliards et demi, et celui de la France de 12 milliards seulement, quoique ces pays fussent dix fois plus peuplés. Depuis 1891, les échanges des colonies australiennes ont quelque peu fléchi, les importations surtout, à cause de la crise économique.