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qui, avec l’abaissement du fret, permet aux produits des antipodes de venir lutter avec profit contre les produits européens.

Nulle part ce caractère industriel que prend, dans les pays neufs, la fabrication de denrées qui ne semblaient nullement s’y prêter n’est plus marqué que dans la production du beurre. Ce n’est pas dans les fermes, avec les vieilles barattes d’autrefois qu’ont été faites les 7 000 tonnes de beurre que la colonie de Victoria a expédiées en Angleterre en 1894 et les 11 000 qu’elle y a envoyées l’année suivante. Ces antiques instrumens ont été remplacés par des machines des — « séparateurs » — qui leur sont aussi supérieures qu’une moisonneuse-lieuse l’est à une faucille. Des 12 500 tonnes de beurre produites dans Victoria en 1893-94, 8 000 l’avaient été dans 133 fabriques, dont 119 se servaient de la vapeur comme force motrice et qui employaient en tout 516 ouvriers ; leurs installations réunies avaient une valeur de 5 millions de francs. La Nouvelle-Zélande, qui est surtout le domaine des beurreries coopératives, et la Nouvelle-Galles du Sud exportent aussi du beurre, mais en moindre quantité que Victoria. Ces produits des antipodes arrivent sur le marché de Londres au même prix que le beurre du Danemark, qui est le plus grand fournisseur de l’Angleterre. Les derniers contrats passés par le gouvernement de Victoria avec les compagnies de navigation assurent, à partir du mois de mai de cette année, un service hebdomadaire l’été, bimensuel l’hiver, pour le transport des viandes, des beurres et des fromages, moyennant 7 centimes et demi par livre seulement, et celui des volailles, des lapins et des œufs renfermés dans des caisses à raison de 82 francs par mètre cube, ce qui représente un abaissement de 10 à 25 pour 100 sur les prix en vigueur au moment où je me trouvais en Australie. Les gouvernemens des diverses colonies s’occupent aussi beaucoup de ces nouvelles industries d’exportation. Leurs ministères de l’agriculture envoient gratuitement à tous ceux qui les demandent les renseignemens nécessaires à l’installation de beurreries et de crémeries ; des écoles ont été fondées, des fonctionnaires spéciaux envoyés à Londres à demeure pour aider à la vente ; des primes même ont été établies à Victoria pour favoriser la production du beurre. Cette intervention de l’État a donné lieu à quelques critiques, quoiqu’elle s’explique par le désir des gouvernemens de faciliter la création de nouvelles ressources qui aident les colonies à sortir de la grave crise économique où elles sont plongées depuis 1893. Peut-être, cependant, les colons se sont-ils lancés trop vivement dans cette voie : le prix de 5 centimes le litre, où le lait était tombé dans l’automne de 1896 à Victoria, est bien peu