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mais, en ce qui touche l’Allemagne, on n’a pas loin à aller pour les trouver. Voilà soixante ou quatre-vingts ans qu’elle se prépare à être une grande nation industrielle par le système d’éducation technique le plus parfait qui soit au monde, la Suisse exceptée peut-être. Elle a été lente, elle a été patiente, elle a été laborieuse, elle nous a envoyé des commis et des agens qui se sont appropriés les secrets que nous pouvions avoir et qui les ont perfectionnés à leur retour en Allemagne, et le résultat est que nous n’avons pas encore perdu notre position, mais que l’Allemagne nous rattrape tout doucement — ou, plutôt, pas doucement. Dans quelques-unes de nos colonies, aux Indes, en Égypte, malgré notre tutelle provisoire, le commerce anglais est gravement menacé par le commerce allemand. Je ne suppose pas qu’à Epsom nous soyons préparés à combattre à nous tout seuls une situation aussi grave ; mais nous pouvons toujours examiner la situation au point de vue de la nation en général. Nous pouvons regarder ce qui a fait le succès de l’Allemagne, et rechercher s’il n’y a pas chez nous-mêmes des causes internes, — une certaine léthargie, une certaine indifférence, un certain sentiment hautain de notre supériorité, — qui ont amené notre décadence. »

Le seul moyen d’arrêter cette décadence serait de créer un courant d’opinion qui forçât les ayans droit à prendre les mesures commandées par les circonstances. Le plus pressé est donc de fournir au public des documens officiels et authentiques : « Il est certainement possible d’instituer une enquête qui pourrait être courte, qui pourrait être pratique, et qui pourrait être complète, sur les causes de la décadence du commerce britannique et sur les progrès alarmans de nos rivaux de l’étranger. J’imagine qu’on peut la résumer d’avance ; voici ce qu’on trouvera : Depuis la défaite de l’Autriche, l’Allemagne n’a pas cessé de se préparer silencieusement et posément à deux grandes guerres. Elle en a fait une, celle pour la consolidation de l’Allemagne. L’autre, qu’elle est en train de faire, c’est la guerre industrielle. Et j’ai grand’peur — tout en lui voulant beaucoup de bien — qu’elle n’y soit aussi victorieuse, à moins que nous ne prenions nos précautions à temps. »

Lord Rosebery admet donc comme M. Williams que l’Allemagne a engagé un duel à mort avec la Grande-Bretagne sur le terrain commercial, et que l’issue en est à tout le moins douteuse. Delenda est Carthago, et Carthage ne se défend pas, engourdie dans une orgueilleuse sécurité. De quel côté est la vérité dans cette question de vie et de mort ? Nous le saurions si l’Angleterre se résolvait à l’enquête demandée par lord Rosebery, « rapide,