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de Rome, qui, selon l’expression usitée, faisait des tournées[1] ; que les actrices ne se piquaient pas d’une vertu farouche ; que les acteurs, surtout les chefs de la troupe, paraissent avoir été très vaniteux, et qu’ils s’appelaient eux-mêmes couramment ou se laissaient appeler les premiers comédiens de leur époque, archimimus temporis sui primus.

Quand nous disons que le mime et la pantomime se sont maintenus au théâtre pendant plus de quatre siècles, il faut s’entendre. Soyons sûrs qu’ils n’ont joui d’un si long succès auprès de spectateurs avides de nouveautés qu’à la condition de se modifier souvent. Il leur a fallu se rajeunir, se renouveler par des altérations, des combinaisons, des variations de forme ou de fond, de sorte que, tout en conservant leur nom, ils ont dû devenir plus d’une fois des genres nouveaux. Ajoutons que, s’ils étaient les maîtres du théâtre, ils ne l’ont pas pourtant accaparé pour eux seuls, qu’il a dû s’y produire de temps en temps de ces tragédies lyriques, dont j’ai parlé plus haut, quoiqu’elles semblent avoir moins bien réussi dans les provinces qu’à Rome, qu’on y exécutait des concerts de musique, qu’on y assistait à des concours de poésie, puisque saint Augustin nous dit qu’il songea quelque temps à y disputer le prix, qu’on y donnait aussi des conférences, comme celles qui rendirent le nom d’Apulée si célèbre. Pour rendre ces spectacles agréables à la foule et en rajeunir l’intérêt, on avait recours encore à d’autres moyens. Dans les inscriptions africaines où l’on parle des jeux scéniques, on dit souvent qu’ils ont été accompagnés de ce qu’on appelle des missilia. Voici ce qu’on entend par ce mot : il était assez dans l’usage, à la fin des jeux publics, de laisser prendre à qui voulait ce qui n’avait pas servi, par exemple, dans les chasses, les bêtes qui avaient survécu ; — on ne voulait pas avoir l’air de faire des économies sur les plaisirs populaires. — Bientôt on ajouta à ces épaves quelques dons particuliers qu’on mettait à la disposition de tout le monde ; Sénèque dit qu’on s’étouffait pour s’en emparer, que c’était une bataille véritable, et que les gens sages avaient grand soin de sortir avant qu’elle ne commençât. Sous Domitien, ce fut bien autre chose : les poètes du temps nous parlent de fruits de toute sorte, dattes, pommes et noix, de victuailles, de pâtisseries, de pièces de monnaie, frappées pour ces circonstances[2], qu’on

  1. A Pompéi, à la suite d’une énumération de divertissemens donnés au peuple, on ajoute qu’avec toutes sortes de pantomimes on avait Pylade : ce Pylade n’était pas l’inventeur de la pantomime, qui vivait sous Auguste, mais probablement quelqu’un de ses successeurs auquel on avait donné son nom, ce qui s’est fait très souvent.
  2. Martial appelle ces monnaies lasciva nomismata, et nous en possédons en effet quelques-unes qui portent au revers des images plus que légères. On peut voir à quel usage Friedlaender suppose qu’elles devaient servir. (Martial, édit. L. Friedlaender, VIII, 78.)