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C’est un essai malheureux d’exploitation des mines abandonnées d’Ilmenau. Ce sont des promenades, des excursions, des voyages qui dégagent l’impression d’une lassitude inquiète, désireuse de se reposer dans un semblant d’action. Plus tard, c’est un dilettantisme scientifique qui se complaît en recherches inexpertes, dont la vanité a été démontrée. En politique, — car enfin, Goethe fut conseiller, ministre de la guerre, ministre des finances, — ce sont de menues réformes dans l’administration du duché, qui témoignent sans doute d’intentions excellentes, mais auxquelles un bon commis aurait pu suffire. Dès que l’homme d’Etat se trouve aux prises avec des difficultés sérieuses, il s’esquive : il laisse Charles-Auguste conduire tout seul des négociations de politique extérieure qui, cependant, auraient dû l’intéresser, — puisqu’il ne s’agissait alors de rien moins que de la transformation du vieil Empire au profit de la Prusse, — et qui l’ennuient. En sortant des conférences auxquelles il a dû assister, il écrit à son amie : « Je l’ai souvent dit et je le répéterai souvent, les causes finales du commerce du monde et des hommes, c’est l’art dramatique. Car autrement, la matière en est absolument inutilisable. » Ou bien : « Je n’ai que deux divinités, toi et le sommeil. Vous guérissez en moi tout ce qui a besoin d’être guéri, et vous êtes mes antidotes contre les méchans esprits. » Ayant quitté son maître, il finit par s’excuser sur ses multiples occupations de ne pouvoir le rejoindre : on n’imagine pas un chef de gouvernement qui en use avec plus de sans-gêne.

Si l’on se demande de quelle façon Goethe se jugeait lui-même, on verra que, du moins pendant plusieurs années, il se complut dans son existence de poète-courtisan et d’homme d’Etat en diminutif. Il la prenait au sérieux. Il en attendait « quelque chose », — quelque chose de vague et d’indéterminé, mais quelque chose. Il croyait réellement travailler à son développement. En 1780, il écrit encore à Lavater : « La tâche dont je suis chargé, et qui me devient chaque jour plus facile et plus difficile, exige jour et nuit ma présence ; ce devoir me devient de plus en plus cher, et je voudrais y égaler les plus grands hommes. Cette ambition d’élever aussi haut que possible dans les airs la pyramide de mon existence dont la base est maintenant dessinée et fondée, surpasse tout et me laisse à peine une minute d’oubli. Je ne puis pas m’attarder, je suis déjà avancé en années. Le sort me brisera peut-être au milieu de mon œuvre, et la tour babylonienne restera grossièrement inachevée. Qu’on dise au moins qu’elle a été hardiment conçue, et si je vis, qu’il plaise à Dieu de me conserver les forces jusqu’au bout. »