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jeunesse, comme les Complices, et d’en composer deux ou trois autres dont la médiocrité stupéfie, comme le Frère et la Sœur. Cette dernière œuvre, — un petit drame larmoyant, en un acte, qui fut écrit en trois jours, — a du moins cet intérêt de nous montrer jusqu’à quel degré peut descendre le poète le mieux doué. Le sujet en est d’une incroyable faiblesse : le héros, Guillaume, ayant perdu une maîtresse aimée, vit avec la fille de cette maîtresse, Marianne, qu’il fait passer pour sa sœur et qui, elle-même, le croit son frère. En la voyant sans cesse auprès de lui, il s’est épris d’elle, tandis qu’elle a conçu pour lui, de son côté, les sentimens les plus tendres. Un ami commun, Fabien, vient demander sa main : sa déclaration est l’étincelle qui les éclaire. Guillaume laisse échapper son secret ; comme il n’y a plus d’obstacle entre eux, ils seront l’un à l’autre : la passion la plus ardente est née de l’amour fraternel. N’était que l’auteur a voulu peut-être définir, sous le transparent symbolisme de cette fiction, la nature vraie de son sentiment pour Mme de Stein, ce thème apparaîtrait entièrement dépourvu d’intérêt. Le style ne le relève certes pas. Jamais l’amour n’a parlé pire rhétorique, plus fade, plus pleurarde, plus fausse : qu’on en juge par ce seul monologue de Guillaume, qui suffira à justifier notre jugement :

« Ange ! cher ange ! Que je puisse me contenir ! ne pas lui sauter au cou et lui tout découvrir ! Nous vois-tu du haut des cieux, sainte femme qui m’as donné ce trésor à garder ? Oui : ils savent là-haut ce que nous faisons, ils le savent !… Charlotte, tu ne pouvais plus magnifiquement, plus saintement récompenser mon amour pour toi qu’en me confiant ta fille à ta mort ! Tu me donnas tout ce dont j’avais besoin : tu m’attachas à la vie ! Je l’aimai comme ton enfant… et maintenant… C’est encore pour moi une illusion. Je crois te revoir, je crois que le sort t’a rendue à moi rajeunie ; que je puis aujourd’hui habiter et rester uni avec toi, comme cela ne pouvait ni ne devait se réaliser dans ce premier rêve de ma vie… Heureux ! Heureux ! Toutes ces faveurs me viennent de toi, Père céleste ! »

On reconnaîtra que cela est immédiatement au-dessous de rien ; et les autres pièces remaniées ou composées dans les mêmes circonstances (à l’exception de Proserpine), Erwin et Elmire, Claudine de Villa-Bella, le Triomphe de la Sensibilité, Jery et Bätely, etc., demeurent à peu de chose près au même niveau. Gœthe ne se retrouvait que pour écrire de courts morceaux de vers, qui n’exigeaient point un effort soutenu, et dont les banalités de sa vie n’avaient pas le temps de le distraire : Ilmenau, le Pêcheur, le Divin, Traversée, Voyage dans le Harz en hiver, Chant des esprits sur les eaux,