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dans une lettre, adressée à Arago, en 1827. Je lis dans une autre, datée de 1835, dont l’original est sous mes yeux :


Je viens parler au meilleur de mes amis, à celui en qui j’ai toujours trouvé appui et assistance, — et après lui avoir demandé un service qu’Arago s’empressa de lui rendre, il ajoutait : — La certitude de pouvoir faire le bonheur de deux personnes (sa mère et lui) qui ont pour vous les sentiments d’une profonde admiration et une affection bien vive, doit être, ce me semble, un puissant motif pour un cœur comme le vôtre, de m’accorder un appui auquel je dois tout ce que je suis, et tout ce que j’ai.


Libri, proscrit, sans asile, avait été logé, nourri, caché même, je ne sais pourquoi, à l’Observatoire, où il puisait dans la bourse des parens d’Arago, dont il était encore et est toujours resté le débiteur. A l’Académie des sciences, où, grâce au chaleureux appui du secrétaire perpétuel, on l’avait élu bien légèrement, on en pensait, on en disait surtout, beaucoup de mal. Pourtant, d’illustres amis lui restaient. Guizot lui témoignait une haute estime, Mérimée vantait la solidité de son érudition et la finesse de son esprit, Poisson l’admettait dans son intimité. Candidat à une chaire du Collège de France, Libri, tout récemment, sur le rapport de Biot, avec l’appui chaleureux de Michelet, avait été préféré à l’un des géomètres les plus marquans alors, Joseph Liouville. Des savans très compétens ayant affirmé à cette occasion la nullité de ses travaux mathématiques, on les taxait d’exagération. Comment concilier, en effet, un jugement aussi sévère avec la présentation de la section de géométrie de l’Académie des sciences, qui, sept ans auparavant, classant par ordre de mérite les candidats à la place laissée vacante par la mort de Legendre, avait accordé à Libri le premier rang, lorsque les concurrens se nommaient Sturm, Duhamel et Liouville ? comment expliquer l’intervention motivée de Poisson ? le rapport louangeur de Lacroix, les démarches d’Arago pour décider ceux des concurrens qu’il redoutait le plus à se désister en faveur de Libri, l’opinion de Cauchy enfin qui, parlant au nom de Legendre, de Fourier et d’Ampère, avait, en 1824 et en 1827, appelé l’attention de l’Académie des sciences sur les découvertes intéressantes et les méthodes ingénieuses du jeune Libri, débutant dans la science ?

Toute passion a disparu, et avec elle toute exagération. Les travaux mathématiques de Libri ne se lisent plus, ils n’occupent aucune place dans l’histoire des progrès de la science, mais ils ne sont pas introuvables et leur lecture explique tout. Les premiers travaux, ceux que Cauchy, Fourier, Ampère et Legendre, un peu indulgens peut-être, ont loués et approuvés, justifiaient leurs espérances. Libri, très jeune alors, pouvait devenir un géomètre.