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avait voulu lui ériger une statue, en sorte que, cet homme heureux pouvait rencontrer son image à tous les coins de sa ville natale. Il y a une histoire qu’on a coutume de rapporter pour faire connaître la séduction que les jeux de gladiateurs exerçaient même sur les hommes les plus sages ; elle est ici à sa place puisqu’il s’agit d’un Africain. L’ami de saint Augustin, Alypius, qui, depuis qu’il était chrétien, avait pris la résolution de les fuir, y fut entraîné un jour par quelqu’un auquel il n’osa pas refuser de le suivre ; seulement il se promit de tenir les yeux fermés, pour ne rien voir. Mais tout d’un coup un grand bruit ayant retenti dans l’assistance, sans doute à un moment plus pathétique, quand quelque gladiateur tombait sous les coups d’un autre, il regarda instinctivement, et, ressaisi par l’intérêt passionné du combat, il ne cessa plus de regarder. Il est sûr que nos petites fictions dramatiques, dont personne n’est dupe, ne peuvent entrer en comparaison avec des luttes où des vies d’hommes sont engagées. Ces blessures véritables, ce sang qui coule réellement, ces visages qui se décomposent, cette agonie, cette mort, forment un spectacle dont on ne peut plus détourner les yeux quand on en a surmonté l’horreur. C’est ce qui a fait la popularité des combats de gladiateurs pendant cinq siècles. Non seulement les grandes villes, mais les moindres villages voulaient en avoir le plaisir. On le goûtait sans aucune répugnance, sans le moindre scrupule. Les magistrats étaient heureux de l’offrir à leurs administrés, et ceux-ci leur en témoignaient la plus vive reconnaissance. Dans une inscription naïvement cruelle en l’honneur du bienfaiteur d’une cité, ou lit ces mots : « Il nous a fait assister à un combat de vingt-quatre gladiateurs, sur lesquels douze ont été tués. Vous ne l’avez pas oublié, mes chers compatriotes ! » Je le crois bien : douze morts sur vingt-quatre combattans ! On n’est pas tous les jours à pareille fête. L’inscription nous vient d’une petite ville de la Campanie, mais le sentiment qu’elle exprime était celui de tout l’empire.

Les amphithéâtres ne servaient pas seulement aux combats de gladiateurs, on y donnait aussi des chasses où l’on mettait aux prises des animaux rares, soit entre eux, soit avec des hommes. Les spectacles de ce genre étaient fort anciens. On en donna un à Home, vers la fin de la république, à l’inauguration du théâtre de Pompée, qui obtint un grand succès. Cicéron, qui n’aimait guère les divertissemens de ce genre, en parle assez légèrement : « Quel plaisir, dit-il, les gens éclairés peuvent-ils trouver à voir déchirer par une bête vigoureuse un homme plus faible qu’elle, ou percer un bel animal d’un coup d’épieu ? » Les gens éclairés