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d’abord ces merveilleux cavaliers, qui abandonnent la bride de leurs chevaux, pendant qu’ils dévorent l’espace, pour décharger leur fusil, pour le lancer en l’air et le reprendre, ne sont-ils pas les descendans directs de ces Numidæ infræni qui faisaient l’admiration des Romains ? Parmi les exercices dont ils nous régalent, il y en a certainement qui doivent remonter très haut, et, par exemple, en les voyant si légèrement sauter d’un cheval sur l’autre, je me souviens que cette voltige était fort appréciée dans les cirques anciens. Quand un de leurs chefs, élégamment vêtu de soie jaune et rouge, assis sur une selle brillante d’ornemens de cuivre, fait danser son cheval en mesure aux sons du flageolet et du tambourin, il me revient à l’esprit un passage d’Elien, qui nous dit que les jumens africaines sont sensibles aux sons de la flûte. Et cette foule accroupie qui semble prendre tant d’intérêt au spectacle, ces yeux qui brillent d’un éclat étrange, ces mains qui applaudissent avec une sorte de furie, ne nous remettent-ils pas devant les yeux les milliers de spectateurs qui, à la même place, il y a quelque seize siècles, suivaient avec la même passion les péripéties des courses ? C’est ainsi que les temps se rejoignent, et que le présent permet d’avoir quelquefois la sensation du passé. Assurément le caïd de Teboursouk, en nous donnant le divertissement d’une fantasia dans l’hippodrome ruiné de Douggar ne se doutait guère qu’il allait, pendant deux heures, nous faire vivre en pleine antiquité.


VI

Les amphithéâtres sont fort nombreux en Afrique. Chaque ville un peu importante devait avoir le sien ; il s’en trouve même au milieu de la campagne, bâtis aux frais de quelque riche propriétaire à l’usage des fermiers et des paysans du voisinage. C’est la preuve irrécusable du goût qu’on avait pour les combats de gladiateurs : personne n’aurait songé à construire des édifices si coûteux si l’on n’avait aimé avec passion les spectacles qu’on y donnait.

Soyons donc certains que c’est le hasard seul qui fait que les jeux de ce genre soient mentionnés assez rarement chez les historiens et sur les inscriptions de l’Afrique. Il y en a pourtant une, près de Bone, qui nous montre le plaisir qu’y prenaient les habitans du pays. Elle nous dit qu’on avait élevé un monument à un flamine impérial « à cause de la magnificence d’un combat de gladiateurs, qui dépassait tous ceux qu’on se souvenait d’avoir vus. » On lui en était si reconnaissant que chacune des curies