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se compare à un chirurgien, mais toujours à un chirurgien amateur, qui s’amuserait à faire des diagnostics, sans avoir jamais la pensée de procéder à une opération. En conséquence, il déclare que, si l’Europe, dans son ensemble, est saine, néanmoins « elle a, à une extrémité, une gangrène qui peut menacer la sécurité et la santé du corps entier. » Vous croyez sans doute qu’après avoir ainsi parlé, lord Salisbury va s’apprêter à introduire le fer dans le membre malade ? Point du tout : il proteste encore contre cette conséquence. C’est pour se donner à lui-même une satisfaction toute subjective qu’il a qualifié comme il convient le mal rongeur dont l’Europe est menacée. « Ne croyez pas, assure-t-il, que j’aie la moindre intention de jouer le rôle de chirurgien. Au contraire, je ne crois pas probable que le gouvernement de Sa Majesté fasse rien pour se départir de cette unité d’action qui semble prescrite par le traité de Paris. Mais le danger n’en existe pas moins, et continuera. Il y a un centre de corruption d’où la maladie et la décomposition peuvent gagner les parties saines de la communauté européenne ; et aussi longtemps que cet état de choses durera dans le sud-est de l’Europe, je prierai ardemment que la sagesse des autres puissances trouve quelque moyen de diminuer le danger qui dure depuis trop longtemps déjà. »

Heureusement la sagesse des autres puissances, aidée de la sagesse de l’Angleterre, — car lord Salisbury agit mieux qu’il ne parle, — paraît avoir trouvé ce moyen. Sans cela, que serait-il arrivé ? Nous n’en savons rien, lord Salisbury non plus, mais il résulte évidemment de la suite de son discours qu’il n’était pas sans redouter des complications générales, et qu’il n’était pas disposé à y jouer jusqu’au bout un rôle purement contemplatif. « Tant que cette situation existera, a-t-il dit pour conclure, il ne faudra pas nous flatter que le péril d’un équilibre troublé dans l’atmosphère européenne a entièrement disparu, et que nous ne pourrons pas être appelés à marcher en avant afin de prendre part à des dangers que nos ancêtres ont eu à combattre ; en quoi faisant ils ont acquis tant de gloire et fait de l’Angleterre ce qu’elle est. Le temps des efforts n’est pas passé, encore moins celui des préparatifs. Je souhaite que, pendant qu’il en est temps encore, nous en profitions ; mais je suis bien sûr que, quand le danger viendra, nos préparatifs fussent-ils avancés ou non, — et j’espère qu’ils seront suffisans, — la grande énergie et les sentimens de cette partie de l’Angleterre que les Cinq Ports représentent se manifesteront comme autrefois, et défendront l’Angleterre contre tout danger, inscrivant son nom comme celui de la préservatrice de la civilisation, de l’amie de la paix et de l’indomptable protectrice de la liberté des peuples indépendans, titres qui ont fait sa gloire et son honneur. » Qui se serait attendu à cette péroraison presque guerrière à la fin d’un discours où lord Salisbury avait si hautement réclamé pour lui la liberté de philo-