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un peu effacée au bout de six semaines. Et puis, d’ici là, d’autres incidens se produiront sans doute et solliciteront à leur tour l’attention publique. Leurs amis se souviendront seulement que M. Poincaré a parlé un jour en homme politique, et M. Bourgeois simplement en homme de cœur.


Nous disions il y a quinze jours que la situation de la Crète, quelque obscure qu’elle fût alors, s’éclaircirait pourtant très vite dès que l’Europe serait unanime à le vouloir. Cette unanimité s’est enfin produite. Les ambassadeurs des puissances à Constantinople, soit qu’ils aient reçu des instructions définitives de leurs gouvernemens, soit que ceux-ci leur aient laissé une plus grande liberté qu’auparavant, se sont mis à étudier les revendications des Crétois avec le désir sincère d’en extraire ce qui leur paraîtrait raisonnable et acceptable et de le faire en effet accepter par les deux parties. Pourquoi a-t-il fallu un si long temps pour en venir là ? On commençait à craindre que le défaut d’entente entre les puissances, ou du moins que certaines divergences de points de vue qui s’étaient produites entre elles, n’éternisât l’insurrection. Ces craintes paraissent heureusement dissipées.

Certes toutes les puissances poursuivaient le même but, l’apaisement ; mais elles n’étaient pas d’accord sur la meilleure manière de l’atteindre. L’accueil qui a été fait à la proposition de blocus du comte Goluchowski, accueil qui n’a pas été le même auprès des divers cabinets, suffirait à le démontrer. Personne n’ignore que la responsabilité du rejet du blocus revient particulièrement à l’Angleterre, et c’est d’ailleurs une responsabilité qu’elle peut porter légèrement. Le blocus de la Crète aurait présenté autant de dangers que d’avantages, plus même peut-être ; mieux vaut qu’il ait été écarté du premier coup définitivement. S’il est vrai, comme on l’a dit, que lord Salisbury ait été d’avis qu’avant de recourir à des procédés de coercition, il convenait de s’entendre sur ce qu’on avait à conseiller, ou même à imposer aux Crétois et à la Porte, il n’avait certainement pas tort. Mais il ne s’en est pas tenu là, et son langage public a été de nature à provoquer un certain étonnement. Nous voulons parler du discours qu’il a prononcé à Douvres, en prenant possession de la présidence des Cinq Ports. L’éloquence de lord Salisbury renferme tant d’intentions diverses, parfois même opposées, qu’il est bien difficile, du moins à première audition, de comprendre à quoi elle tend : nous aimons à croire que son langage diplomatique a plus de précision et qu’il va au fait plus directement. Cela vient peut-être d’un excès de modestie : lord Salisbury ne semble pas vouloir se rendre compte de l’importance considérable qu’on attache à ses paroles. Il oublie qu’il est le chef du gouvernement anglais, et que, dès lors, les jugemens qu’il porte, les sentences qu’il énonce, les condamnations qu’il prononce, prennent dans sa bouche