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mosaïque conservée dans la salle d’honneur du 4e tirailleurs, à Sousse, reproduit celui de Sorothus, un riche propriétaire du temps.

Les chevaux élevés dans ces haras n’étaient pas toujours destinés à y rester. On les expédiait, avec leurs cochers, partout où se donnait le spectacle de ces grandes courses qui passionnaient tout le monde. Nous avons des listes de chevaux qui ont remporté le prix à Rome, dans le grand cirque ; ils sont presque tous gétules ou numides. Naturellement leurs maîtres en étaient très fiers, et sur les mosaïques, dont ils ornaient leurs maisons, ils aimaient à les faire représenter, avec leurs noms et quelques mots d’éloge bien sentis. Ces noms, après une victoire, devenaient souvent très célèbres. On parlait du cheval vainqueur, non seulement dans les sociétés mondaines, où les gens à la mode se piquaient d’en savoir l’origine et la généalogie, mais un peu partout ; si bien que même les écrivains qui jouissaient le plus de la faveur publique, finissaient par en être jaloux. « N’enviez pas ma gloire, disait Martial à ses amis ; ce poète dont vous prétendez que tout l’empire répète les vers n’est pas aussi connu que le cheval Andrémon. »

Nous avons vu qu’il ne reste presque plus rien de l’hippodrome de Dougga. Mais il est aisé de nous figurer ce qu’il devait être ; il était construit, comme presque tous les autres, sur le modèle du grand cirque de Rome. Ici encore, le monde entier s’était réglé sur la capitale, et non seulement tous les cirques reproduisaient les dispositions de celui qui s’élevait entre le Palatin et l’Aventin, — ce qui se comprend quand on sait combien ces dispositions étaient simples et commodes — mais on avait aussi emprunté à Rome des usages qui avaient moins de raison d’être. En Grèce, dans les courses de char, on s’intéressait directement au propriétaire ou au conducteur, dont on connaissait la famille et le pays. A Rome, les concurrens étaient divisés en partis, ou, comme on disait, en factions ; il y en avait quatre, qu’on distinguait par les couleurs des cochers. Les spectateurs se partageaient entre elles ; chacun avait sa couleur préférée. Dès l’enfance on était bleu ou vert, sans trop savoir pourquoi, mais dès qu’on avait choisi, on mettait à soutenir les siens une ardeur qui dégénérait souvent en querelles et en séditions. Les factions et leurs couleurs avaient pénétré dans les provinces. Tourne parler que de l’Afrique, on a découvert, à Cherchell, il y a quelques années, une mosaïque qui représente un cheval des écuries de Sabinus. Il est dit, dans la légende, qu’il s’appelait Muccosus (le morveux)[1], et qu’il appartenait à la faction des verts (prasinianus).

  1. « Singulier nom, pour un cheval de course », dit M. Héron de Villefosse.