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dévoués. » Pourquoi nous seraient-ils dévoués ? Nous leur avons pris beaucoup et peu donné. Ne faisons fond que sur leur résignation ; c’est une vertu enseignée dans le Coran.

— « Tant qu’ils resteront musulmans, nous ne ferons rien de ces gens-là ; convertissons-les. » Malheureusement ces grands convertisseurs sont eux-mêmes inconvertissables. « L’Islam, dit M. de Castries, est la seule religion qui ne compte pas d’apostats. » Mahomet regardait le fils de Marie comme un vrai prophète, un homme inspiré et envoyé de Dieu ; mais il s’indignait contre son apothéose. Fermement convaincus que de la divinité à nous la distance est infinie, serviteurs d’un Allah qui n’engendre point et n’est pas engendré, monothéistes intransigeans, les fils de l’Islam traitent d’idolâtrie une religion qui enseigne un Dieu en trois personnes, un Dieu qui eut un fils, un Dieu qui a revêtu une chair humaine et dont on montre les images, un Dieu qui se révèle à ses croyans sous les espèces du pain et du vin. Au surplus, expliquant par la volonté divine tout ce qui se passe dans le monde, et trop respectueux pour lui demander des comptes, notre goût pour la recherche scientifique des causes secondes leur est suspect, ils la tiennent pour une secrète impiété. On a plus facilement raison de la haine que du mépris ; le musulman éprouve à notre égard une sorte de défiance méprisante ; si elle venait à s’affaiblir, les confréries religieuses, dont les affiliés pullulent, auraient bientôt fait de la réveiller.

— « Si nous ne pouvons les convertir, dit-on encore, appliquons-nous à les instruire. » Nous nous moquons des fétichistes, et nous avons nos fétiches ; tel libre penseur attribue à l’enseignement primaire la vertu d’une amulette ou d’un breuvage magique. Hélas ! un membre de l’Université, qui fit une tournée dans l’Algérie, écrivait à son retour : « L’hostilité d’un indigène se mesure à son degré d’instruction française ; plus il est instruit, plus il y a lieu de s’en défier. » — « Laissons-les donc à leur crasse ignorance, mais obligeons-les du moins à se faire naturaliser. » En vertu de la convention d’Alger, nous n’avons pas le droit de leur imposer la naturalisation, nous ne pouvons que la leur offrir à titre de faveur ; c’est une faveur dont ils font peu de cas. — « Soit ! disent les grincheux, les violens, les rapaces qui convoitent leurs terres, donnons-leur force dégoûts ; nous les contraindrons à s’en aller, et s’ils ne s’en vont pas, peut-être les verrons-nous disparaître peu à peu, comme les Peaux-Rouges ont disparu au contact des Yankees. » C’est encore une illusion. Les musulmans arabes ont une étonnante faculté d’endurance, ils sont capables de beaucoup pâtir, de tout supporter sans en mourir. Loin de disparaître, ils font beaucoup plus d’enfans que nous, et cette race féconde multiplie d’année en année.

Que faut-il donc faire ? Tout d’abord, dit M. de Castries, renonçons à nous les assimiler. « Au fond, ajoute-t-il, cette assimilation flatte