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habit va si bien à une grande partie de l’humanité que, ne l’eût-elle porté qu’un jour durant, elle n’en veut plus changer.

De quelque manière qu’on apprécie ou qu’on juge la religion du Prophète, il est un point qu’il faut accorder sans réserve à M. de Castries et une vérité dont il importe de nous bien pénétrer : nous ne saurions trop nous persuader que l’islamisme est une puissance avec laquelle il faut compter. Renan se plaisait à croire à son irrémédiable décadence, et M. Barthélémy Saint-Hilaire, qui lui rendait plus de justice, ne laissait pas de dire : « Le mahométisme ne fait plus de nouveaux prosélytes. » C’est une énorme erreur : l’islamisme est au contraire la seule religion qui fasse preuve d’une irrésistible force d’expansion. Il est de tous les cultes le plus universel, si l’on entend par-là qu’aucune race ne lui est absolument réfractaire. Cette religion sémitique a conquis sur les Aryens la Perse et une partie de l’Inde ; elle s’est emparée de l’Asie centrale, et le Turc lui appartient ; elle compte en Chine vingt millions de fidèles ; un savant russe ne croit pas impossible qu’elle se substitue à la doctrine de Sakia-Mouni dans le céleste empire.

Que cette prédiction s’accomplisse ou non, il est certain que l’islamisme a fait et continue de faire d’immenses progrès en Afrique. « C’est l’Afrique, dit M. de Castries, qui reste la terre d’élection de l’Islam ; il s’y sent chez lui comme le christianisme en Europe. Depuis Sierra-Leone, écrivait le colonel de Polignac, jusqu’au Mozambique portugais, en passant par le Maroc, les États barbaresques et le canal de Suez, toute la ligne côtière, d’une manière non interrompue, est habitée par des populations musulmanes. Si des côtes nous pénétrons vers l’intérieur, nous constatons que l’hinterland de l’Islam forme un territoire compact s’étendant de la Mer-Rouge à l’Atlantique… Sa marche a dépassé le Soudan et se continue vers les régions équatoriales. » Depuis que nous nous sommes établis dans le bassin du Niger et que nous occupons les affluens nord du Congo, nous sommes devenus les proches voisins de ces conquérans ; que cela nous agrée ou nous déplaise, nous aurons souvent affaire à eux.

Comment s’expliquent les prodigieux succès de la propagande islamique parmi les populations fétichistes du continent noir ? C’est une religion très simple, qui convient à merveille aux simples. Que propose-t-elle ou qu’impose-t-elle à des esprits courts et durs ? La croyance au Dieu unique, la prière et le Coran. Les Soudaniens adoptent facilement l’habitude de la prière, à laquelle ils attribuent sans doute une vertu magique, et lorsqu’ils ont appris à lire un peu d’arabe, le Coran leur procure des plaisirs que ne leur donnèrent jamais leurs fétiches.

« Peut-on attribuer à l’inspiration purement humaine d’un illettré. s’écrie l’auteur de l’Islam, ces pages qui, entendues pour la première fois par Okba-ben-Rebia, le plongèrent dans le ravissement et dont la