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attribut de la divinité prenait dans mon esprit un sens que toutes les démonstrations métaphysiques des théodicées n’avaient jamais réussi à lui donner. J’étais en proie à un malaise indicible, fait de honte et de colère. Je sentais que, dans ce moment de la prière, ces cavaliers arabes si serviles tout à l’heure avaient conscience qu’ils reprenaient sur moi leur supériorité. J’aurais voulu leur crier que, moi aussi, je croyais, que je savais prier, que je savais adorer. »

Il comparait ces hommes majestueusement drapés dans leurs vêtemens de laine au Français qui les commandait, son uniforme étriqué à leurs amples burnous qui semblaient s’harmoniser avec l’immensité du désert, la noblesse de leur attitude à son air de confusion et d’embarras, la fausse pudeur d’une foi qui se ménage et se cache à la courageuse certitude d’une piété fière de se prosterner à la face du soleil. Il les trouvait très grands, il se sentait très petit, et soudain la solennelle prédiction de la Genèse lui revint à la mémoire : « Que Dieu habite la tente de Sem ! Que Dieu donne l’étendue à Japhet ! » — « Ils étaient bien là face à face les descendans des deux fils de Noé : eux, les fils de Sem, fiers de leur foi, adorant le Dieu de leurs pères, le Dieu qui avait visité la tente d’Abraham ; moi, l’aryen, fils de Japhet, celui qui s’étend par la conquête… Il me semblait que dans cette vie nomade du désert, j’avais réellement vu, pour la première fois, des hommes rendre hommage à la divinité. Ma pensée se reportait à ces temples chrétiens où le plus souvent les femmes seules sont en prière, et l’indignation me venait contre cette irréligion des hommes d’Occident. »

Il rêva dès lors d’écrire un livre intitulé : le Génie de l’Islamisme. Il ne l’a pas écrit ; il s’est défié de ses premières impressions, il a attendu pour prendre la plume d’avoir achevé ses études. Le livre qu’il nous a donné est l’œuvre d’un esprit mûr, qui a beaucoup médité et réfléchi. Il pourrait se faire toutefois, et il s’y attend, que tel orientaliste de cabinet, qui n’a jamais vécu dans le monde musulman, et qui fait peu de cas des impressions, n’en ayant jamais eu, le traitât dédaigneusement « d’arabisant d’Algérie », et relevât dans son précieux petit volume quelques assertions contestables.

Peut-être lui reprochera-t-on d’avoir avancé que Mahomet tira tout de son fonds, d’avoir fait une trop grande part à son inspiration personnelle. Il faut avouer que l’islamisme a tous les caractères d’une religion syncrétique, dont le fondateur emprunta aux juifs le principe de l’unité absolue de Dieu, au christianisme le dogme de l’immortalité de l’âme. Sans le traiter, comme on l’a fait, de plagiaire ou de » prophète pillard », on peut admettre qu’il s’appropria les doctrines qui répondaient aux besoins de son âme, qu’il a pris son bien où il l’a trouvé. Quelques savans affirment que plus de mille ans avant l’hégire, des tribus de race israélite s’établirent en Arabie, que leurs colonies