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UN LIVRE NOUVEAU
SUR L'ISLAMISME

Le premier devoir d’une nation qui fait gloire de posséder des colonies est de se dépouiller de ses préventions naturelles contre les peuples dont les mœurs, les coutumes, les croyances diffèrent des siennes. Elle ne réussira à les gouverner qu’à la condition de se familiariser avec leurs idées et leurs habitudes d’esprit, d’admettre les diversités de la vie et de l’âme humaine, de se convaincre que tous les cerveaux ne sont pas faits comme les nôtres, que tout ce qui nous étonne n’est pas nécessairement absurde, qu’il y a souvent une raison cachée dans les déraisons apparentes qui nous choquent. Un peuple colonisateur doit apprendre à sortir de sa peau pour entrer dans celle des autres, se donner la peine de savoir ce qui peut bien se passer dans la tête d’un Annamite, d’un Malgache ou d’un Haoussa, se défaire de ses ignorances et de ses sots dédains.

La France possède aujourd’hui en Afrique un empire musulman qu’elle se promet d’agrandir encore ; il lui importe de se mettre en règle avec Mahomet, de savoir exactement ce qu’elle doit attendre, espérer ou craindre de lui, de régler là-dessus sa conduite et sa politique africaine. Le prophète a trouvé plus d’une fois en Europe des juges impartiaux et même des amis sympathiques, tels qu’un Anglais, M. Bosworth Smith, qui affirmait naguère « que, si les musulmans ont beaucoup à apprendre des chrétiens, tout en restant musulmans, les chrétiens ont de leur côté plus d’une leçon à recevoir des musulmans et qu’ils n’en seront que meilleurs chrétiens. » Mais ce n’est pas sur ce ton qu’on parle habituellement de l’islamisme. Les chroniqueurs du moyen âge le traitaient « de foi de chameaux et de buffles ou de religion de pourceaux. » Nous sommes devenus plus polis, nous ne sommes pas toujours plus équitables.

Le célèbre voyageur allemand M. Gerhard Rohlfs, mort depuis peu,