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commissaires, les dirigent vers la place qu’ils doivent occuper. Chacun a la sienne. Les Romains ont un grand respect de l’étiquette ; c’est une race cérémonieuse qui introduit l’ordre et la règle partout ; au théâtre, comme ailleurs, il faut que tout le monde soit à son rang. L’orchestre, et probablement aussi les premiers gradins, sont réservés aux magistrats, duumvirs, édiles, questeurs, puis aux décurions qui forment le conseil du municipe[1]. À côté d’eux sont assis les prêtres, auxquels la loi donne le droit de porter à certains jours la robe prétexte. En dehors des magistrats et des gens d’importance, pour le public ordinaire, il y a encore des distinctions. Auguste a voulu que les soldats eussent une place à part ; il a séparé les gens mariés des célibataires, dont il avait horreur ; les jeunes gens qui font leurs études sont réunis ensemble, et leurs précepteurs se tiennent derrière eux. Ce qui doit frapper, quand le théâtre est plein, ceux qui d’en bas regardent la cavea, c’est que les spectateurs y sont à peu près vêtus de la même façon. Il est de règle que, pour aller au théâtre, on mette sa toge, et quoique ce soit un vêtement peu commode, surtout dans les pays chauds, je ne crois pas que même en Afrique on se permette de ne pas la porter. Souvenons-nous du scandale que causa Tertullien parmi les gens de Carthage quand il remplaça la toge par le pallium, et comment il fut obligé de composer un écrit pour se défendre. L’autorité aimait qu’on se vêtît du costume officiel dans les cérémonies solennelles ; elle pensait sans doute que le spectacle en aurait plus grand air et que les larges plis de la toge et sa couleur uniforme convenaient mieux à la gravité des fêtes publiques qu’un ensemble de costumes étriqués et multicolores. Je crois bien qu’elle avait raison. J’avais grande envie, pendant notre visite à Dougga, de prier nos compagnons de route, en jaquette et en chapeau mou, de céder leur place, sur les sièges du théâtre, aux indigènes qui nous regardaient du haut de la colline. Il me semblait que, d’un peu loin, avec leurs burnous et leurs gandouras, ils nous donneraient quelque idée de cette assistance en robes blanches qui garnissait les gradins, à l’époque des Antonins et des Sévères. Quant à ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas porter la toge, par exemple les ouvriers, les esclaves, qui se contentaient de la tunique aux couleurs sombres, ils s’entassaient au plus haut du théâtre, sous le portique circulaire, d’où ils pouvaient voir, sans être trop vus.

  1. Auguste, indigné qu’un sénateur n’eût pas pu trouver de place dans des jeux célébrés à Puteoli, ordonna que désormais, dans tous les spectacles, le premier banc serait réservé pour les membres du Sénat de Rome qui seraient en voyage. Mais, après lui, il n’est plus question de cet usage.